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Chroniques
intégrale Jean Sibelius, 2
Symphonies Op.82 n°5 et Op.94 n°6
Ce deuxième rendez-vous avec la musique de Jean Sibelius et les excellents musiciens du Los Angeles Philharmonic est ouvert par une interprétation prudente et particulièrement équilibrée de la Symphonie en ré mineur Op.94 n°6, œuvre dont l'achèvement a demandé rien moins que neuf ans. Esa-Pekka Salonen en explore discrètement le lyrisme contenue de l'Allegro initial qu'il préserve de toute emphase. Aucun effet n'en est souligné, l'articulation demeure ferme et le geste s'édifie toujours dans la profondeur et le secret des alliages timbriques. L'Allegretto suivant bénéficie d'une souplesse appréciable et d'un délicat travail de nuance qui reste lui aussi sur la réserve, tout comme les fins de mouvements fort elliptiques ménagées par l'auteur. Le chef assène un Poco vivace d'une urgence impérative que vient assagir l'Allegro, cependant indiqué molto, de l'ultime épisode, cette page se concluant comme une consolation lointaine éclairée par la hauteur de ton et la clarté de l'exécution.
Aux artistes se joint Ben Heppner.
Il donne sept des quelques cent dix mélodies de Sibelius, dans une orchestration conçue tout exprès pour la tournée de la formation étatsunienne par le compositeur John Estacio, à partir d'extraits des opus 17, 36 et 37. Seuls, le premier de ces Sept chants, rencontre une approche d'une délicatesse précieuse, s'exprimant en un mezzo piano que le ténor investit peu à peu jusqu'à l'exultation finale. L'attaque d’Au soir s'opère en un indicible sotto voce. La trame orchestrale de L'Aube se révèle plus travaillée que celle des deux précédentes pièces et la voix, malgré un poème plus convenu, y trouve un chemin inventif que le lyrisme presque straussien d’Ai-je rêvé prolonge avec bonheur. L'élan dramatique de La fille revient des bras de son amant, où nage comme un gardon l'expressivité de l'art de Ben Heppner, vient faucher cet enthousiasme. L'évidence du phrasé avantage encore Murmurez, roseaux, murmurez, magnifiant bientôt la calme morbidezza des Roses noires.
La flamboyante lecture de la Symphonie en mi bémol majeur Op.82 n°5 (1914-1919) est sans conteste le sommet de cette soirée – il se pourrait bien qu'il soit peut-être celui des quatre concerts de la série. Esa-Pekka Salonen distille dès son premier mouvement une stupéfiante alchimie de couleurs, tout en appuyant les énigmes de sa narration par le contraste parfois violent de nuances creusées, risquées, et la vigueur du propos par une énergie déroutante. L'Andante central est ciselé dans une pâte généreuse, enflant bientôt comme un fleuve jusqu'au dernier épisode que chaque pupitre fait sonner comme personne.
De fait, le public fait fête aux artistes qui, en guise de bis, prennent congé avec une Mort de Mélisande (extrait de la suite Pelléas et Mélisande Op.45 conçue à l'origine comme musique de scène) saisissante qui fait « pleurer les pierres ». À l'issue de ce deuxième concert s'impose le sentiment que ce cycle pourrait bien constituer l'évènement musical de cette saison [lire notre chronique de la veille].
BB