Recherche
Chroniques
Internationales Mahler Festival Leipzig
concert 1 | Gewandhausorchester, Riccardo Chailly
Après avoir quitté Leipzig en 1888, Mahler compose un mouvement symphonique, Totenfier, mais ne reprend l’écriture de la Symphonie en ut mineur n°2 qu’en 1893. Achevée en juin 1894 et créée dans son intégralité à Berlin l’année suivante, la symphonie Aufstehung (Résurrection) est « celle de Mahler qui présente le plus grand nombre d’occurrences du mot Gott » indique le Kapellmeister Riccardo Chailly. Il était difficile de résister à la tentation de la programmer le jour anniversaire de la mort de Mahler (Sterben werd’ich, um zu leben – Je dois mourir pour vivre). Il l’était d’autant plus d’ouvrir le festival avec cet ouvrage qu’Arthur Nikisch a joué à la Gewandhaus peu après la disparition du compositeur, le 2 novembre 1911, et que c’était alors encore la seule à être joué par les forces de la maison. On pourra également apprécier un clin d’œil aux coïncidences qu’offre l’histoire locale en plaçant le concert d’ouverture le 17 mai, puisque c’est la date anniversaire de la fin du contrat de Mahler au Staadttheater de Leipzig [lire notre introduction générale].
Que les contempteurs de la « mahlérite » aiguë dont seraient atteints les formations orchestrales en ces saisons commémoratives – suggérant par là que la masse sonore masqueraient les imprécisions éventuelles des pupitres – viennent à Leipzig entendre le Gewandhausorchester sous la baguette de son directeur musical, Riccardo Chailly – grand mahlérien s’il en est.
Ce soir, dans la Deuxième Symphonie, le chef italien veille avec soin à la balance des dynamiques à l’œuvre dans la partition. Les contrastes de textures, étroitement associés aux oppositions de pupitres, sont mis en lumière avec une remarquable précision, sans que jamais l’ampleur de l’ensemble ne vienne confondre les interventions solistes. Le travail d’orfèvre réalisé ne craint pas les explosions de décibels réclamés par Mahler qui font réciproquement ressortir les murmures pianissimo qui leur succèdent parfois, le tout magnifié par l’acoustique de la salle.
Réticent à livrer un programme à sa musique, Mahler avoua cependant que sa Symphonie en ut mineur n°2 était une sorte de réponse à la question du sens de la vie et de la souffrance – l’hymne qui conclut le dernier mouvement affirme la teneur universaliste du propos de la partition, où l’on peut déceler des indices significatifs de ce que l’on a pu appeler le panthéisme mahlérien. Construit sur une forte dialectique dominée par une marche funèbre initiée par le frémissement des basses, l’Allegro maestoso initial est une révision du poème symphonique Totenfier – donné dimanche par l’orchestre du Concertgebouw. La cantilène dévolue, entre autres, aux bois, violons et harpes, reste une vaine éclaircie dans cet orage sonore. Le mouvement est joué comme une immense scène dramatique, accentuant les silences lors de l’exposition, ou au contraire précipitant l’urgence expressive. À la fin de ce combat éprouvant, l’orchestre jusque dans ses derniers retranchements – l’ultime climax pousse la puissance aux limites de la beauté et du cri, sans jamais sombrer dans le bruit –, le maestro descend de son podium pour une pause de plusieurs minutes, suivant les instructions du compositeur. Avec l’Andante moderato, l’atmosphère s’apaise subitement, et ce sont les réminiscences d’un Ländler qui se mêlent aux rythmes d’un menuet. L’innocence apparente est discrètement démentie par une ironie tendre, suggérée par l’hétérogénéité stylistique.
Les trois derniers mouvements se succèdent sans interruption.
Le Scherzo (Mahler écrit seulement Im ruhig fließender Bewegung – dans un mouvement allant et régulier) reprend le thème du Sermon de Saint-Antoine de Padou aux poissons, extrait du cycle des Knaben Wunderhorn. La satire grinçante du Lied, à la fin duquel les auditeurs, ayant dressé leurs branchies attentives au prêche, retournent à leur vie antérieure sans y rien changer, se fait entendre dans le tourbillon d’une valse qui imprime à la page son identité rythmique. Avec ce sens du contraste dont il a le génie, Mahler enchaîne avec un Lied extatique, lui aussi extrait des Knaben Wunderhorn, Urlicht. Le recueillement de cette page trouve en la voix de Sarah Conolly – remplaçant ce soir Christianne Stotijn – une interprète sensible à l’intériorité d’un des plus purs moments de la symphonie.
Le finale renoue avec la lutte sans merci du premier mouvement – Im Tempo des Scherzo. À l’issue du combat, émergeant des tréfonds des basses, Langsam, Misterioso, retentissent a capella, presque indistinctes, les premières paroles de Klopstock, entonnées d’abord par un chœur masculin aux accents presque religieux, avant que cela ne se propage aux tessitures supérieures, jusqu’au soprano solo, tenu ce soir par la lumineuse Christiane Oelze, en lieu et place de Twyla Robinson. Peu à peu, l’ensemble des formations chorales réunies – Rundfunktchor Berlin, MDR Rundfunkchor et Gewandhauschor – et les forces orchestrales clament d’un seul homme la foi en la résurrection. L’anabase couronne une lecture d’une cohérence exemplaire, contenant les précoces accès de fougue que d’aucuns auraient pu attendre moins modérés.
GC