Chroniques

par gilles charlassier

Internationales Mahler Festival Leipzig
concert 2 | Staatskapelle Dresden, Esa-Pekka Salonen

Gewandhaus, Leipzig
- 19 mai 2011
Gert Mothes photographie Esa Pekka Salonen à Leipzig
© gert mothes

Composée entre 1893 et 1896 pendant sa retraite estivale à Steinbach am Attersee, dans le Salzkammergut, avec sa sœur Justine et son amie Nathalie Bauer-Lechner, la Symphonie en ré mineur n°3 dut attendre 1902 pour être créée dans son intégralité à Krefeld, après que les deuxième, troisième et quatrième mouvements eussent été donnés en 1896 et 1897 par Arthur Nikisch à Berlin puis à Leipzig et par Weingartner dans la capitale allemande. Si elle peut paraître comme une continuation de l’inspiration panthéiste à l’œuvre dans la Deuxième entendue la veille [lire notre chronique], l’éclaircissement progressif de la texture sonore regarde vers la Quatrième dont la première aura lieue une année plus tôt.

La relation privilégiée qu’Esa Pekka Salonen entretient avec cette partition remonte à ses débuts avec le Philharmonia Orchestra, dont il est l’actuel directeur musical. Alors que Michael Tilson Thomas, indisposé, ne peut assurer la performance, le jeune chef de vingt-cinq ans le remplace au pied levé. À l’inverse du Gewandhausorchester, le Sächsische Stattkapelle Dresden est un orchestre de fosse – associé au Semperoper. Si la formation – l’une des plus anciennes d’Europe, elle a fêté son quatre-cent-soixantième anniversaire en 2008 – nourrit des liens particuliers avec l’œuvre de Richard Strauss, ayant créé neuf de ses opéras, elle n’en travailla pas moins avec de grandes baguettes mahlériennes, à l’instar de Bernard Haitink.

Si la division en deux parties était latente dans la symphonie Aufstehung, avec la pause demandée par Mahler à la fin de l’Allegro maestoso, elle est matérialisée dans la Troisième Symphonie. Il faut dire que les propositions du mouvement initial (Kräftig. Entschiden, soit avec force, résolu) sont impressionnantes – près de trente-cinq minutes. Il s’ouvre sur les appels des huit cors, dans un dessin harmonique imprécis, image d’un monde encore primitif, auxquels répond une marche à l’allure mi-frustre mi-funèbre, initiée par les trombones. Le troisième motif, à l’orchestration colorée et ensoleillée, émerge de cet ubac pour manifester son visage de marche joyeuse à la reprise et triompher à la fin de l’épisode. Si la construction dialectique rappelle la Résurrection, l’organicité du matériel thématique, où les trois thèmes sont une sorte de variation sur une idée originelle, signale une inflexion de l’inspiration du compositeur. Esa Pekka Salonen fait entendre sa compréhension de cet élan robuste en modelant la progression mélodique et rythmique sur les textures instrumentales et leurs amplifications successives. La Coda donne l’impression presque biologique de l’élargissement de l’horizon sonore, comme si la marche sortait à chaque reprise de sa chrysalide pour une incarnation encore plus vivante et joyeuse.

Après l’enfantement démiurgique de la Nature, celle-ci va se développer sous nos oreilles au fil de la seconde partie. Le Tempo di Minuetto, Sehr mäßig, révèle une écriture légère dominée par harpes, flûtes, clarinettes, hautbois et violons. Au côté idyllique de ce menuet stylisé se juxtapose un trio plus énergique, mais toujours de facture transparente. Le premier thème du Comodo - Scherzando - Ohne Hast emprunte son motif au Lied Ablösung im Sommer, extrait du recueil des Knaben Wunderhorn, et qui conte l’histoire d’un coucou qui en chutant se tue et dont le chant sera alors remplacé par celui du rossignol. L’ironie tragicomique cède à une section centrale plus extatique, qui préfigure le mouvement lent de la Quatrième Symphonie. De même que dans la première partie, les expositions des cuivres pèchent par l’imprécision des attaques, et une justesse parfois perfectible. Il faut admettre que l’oreille tendue de celui qui n’est pas leur directeur musical semble un repère aveugle à ces pupitres hors de portée de baguette.

Ainsi que dans la Résurrection, les trois derniers mouvements sont joués sans interruption. Le Lied O Mensch ! Gib acht ! (Sehr langsam – Misterioso), sur un texte de Nietszche extrait d’Also sprach Zarathustra, est empreint d’une atmosphère apaisée et recueillie qu’avec une voix idiomatique Lilli Paasikivi rend avec justesse. Le cinquième mouvement, Lustig im Tempo und Keck im Ausdruck dans un tempo joyeux et avec une expression désinvolte –est écrit sur des paroles des Knaben Wunderhorn pour chœurs d’enfants et de femmes (ce soir le Kinderchor der Sächischen Staatsoper Dresden et le Damen des Sächsischen Staatsopernchores, préparés respectivement par Andres Heinze et Pablo Assante), auxquels vient se joindre l’alto. Le finale, Lansgsam - Ruhevoll – Empfunden est une section lente construite sur un motif simple, comme l’Aria de l’Opus 111 de Beethoven ; il anticipe le dépouillement de l’Adagio de la Neuvième Symphonie. C’est peut-être la première grande page que Mahler compose selon le principe de la variation. Le chef finlandais la conduit avec la souplesse requise, dans un souffle d’une belle homogénéité, donnant à entendre l’épure d’un procédé esquissé dans le premier mouvement.

GC