Chroniques

par laurent bergnach

Intolleranza 1960 | Intolérance 1960
azione scenica de Luigi Nono

arte.tv / Salzburger Festspiele, Felsenreitschule
- 2 octobre 2022
En 2021, Jan Lauwers signait la mise en scène d'INTOLLERANZA 1960 de Nono
© salzburger festspiele | maarten vanden abeele

Pour aborder ce spectacle présenté au Salzburger Festspiele quatre fois dans la seconde quinzaine d’août 2021 – dont Arte permet aujourd’hui la (re)découverte –, gardons à l’esprit cet aveu du plus engagé des compositeurs italiens de l’après-guerre : « la genèse de chacune de mes œuvres est toujours à rechercher dans une “provocation” humaine : un événement, une expérience ou un texte de notre vie provoquent mon instinct et ma conscience et les incitent à apporter mon témoignage de musicien-homme » (Luigi Nono, Écrits, Contrechamps, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage].

Les différentes provocations qui menèrent Nono (1924-1990) à concevoir Intolleranza 1960 sont d’abord liées à la négligence criminelle d’une classe dominante, comme en témoignent deux tragédies évoquées à chaque bout de l’ouvrage : celle de l’incendie de Marcinelle (Belgique), où périrent plus de deux cent cinquante mineurs de fond (8 août 1956), et celle des inondations du Polésine (novembre 1951), avec nombre de noyés et de sans-abris. Sous des dehors de catastrophe naturelle ou d’accident, ces deux événements révèlent des négligences liées au profit : dans un cas, mauvais entretien des digues et affaissement du terrain lié à la présence de puits méthaniers ; dans l’autre cas, accroissement insensé de la production et mode d’exploitation vieilli. Spécifiquement liées à l’année 1960, d’autres provocations concernent la résistance des Algériens aux colons français – « qui s’inspirent encore des méthodes nazies (censure, intimidations, tortures et massacres) pour contrarier la liberté des peuples », note le musicien dans un tapuscrit (ibid.) –, et l’opposition de ses compatriotes à une tentative de restauration fasciste. Les textes entendus mêlent poésies (Brecht, Éluard, Maïakovski, Ripellino) et témoignages (Alleg, Fučík, etc.) [lire notre critique du CD].

Créée à Venise le 13 avril 1961, l’azione scenica en deux actes est ici mise en scène par Jan Lauwers, qui signe également la chorégraphie avec Paul Blackman, et une partie vidéo qui semble anecdotique. Le natif d’Anvers a fondé jadis Needcompany, une troupe multilingue et pluridisciplinaire dont quelques membres (Sung-Im Her, Misha Downey, Victor Lauwers, Yonier Camilo Mejia) apparaissent aux côtés des danseurs de BODHI PROJECT et SEAD (Salzburg Experimental Academy of Dance). Hélas, Lauwers tombe dans le piège de la violence redondante, accentuée par une peur du vide. Ainsi, passé le premier quart d’heure où convulsions et tremblements sont de règle, les scènes de torture et celles de courses circulaires entraînent le spectateur dans un tourbillon qui ne lui laisse pas loisir de se questionner – et quand les corps s’apaisent, ce sont des rires qui éclatent soudain, interminables ! Cette absence de variation dans le rythme, cette surenchère que la captation télévisée veut suivre de près discrédite un ouvrage rare, dont on attend juste qu’il finisse au plus vite…

On retiendra de cette soirée la présence des Wiener Philharmoniker et du Chor der Wiener Staatsoper, celle d’Ingo Metzmacher dirigeant entre urgence et statisme inquiétant, et celle de cinq solistes impeccables : Sean Panikkar (Émigrant), qui séduit toujours autant par sa vaillance et son sens de la nuance [lire nos chroniques de The Bassarids à Salzbourg et à Berlin, et d’Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny], Sarah Maria Sun (Compagne) [lire nos chroniques de Der goldene Drache, Kein Licht, Sombras, Die Vorübergehenden et Carlotas Zimmer]., Anna Maria Chiuri (Femme) [lire nos chroniques de Norma et de Violanta], Antonio Yang (Algérien) et Musa Ngqungwana (Homme torturé).

LB