Chroniques

par bertrand bolognesi

Italie chorale au XXe siècle
Nono, Dallapiccola et Schönberg

SWR Vokalensemble Stuttgart, Ensemble Modern, Reinbert de Leeuw
Musik Triennale Köln / Funkhaus, Cologne
- 8 mai 2004
le chef Reinbert de Leeuw joue Nono, Dallapiccola et Schönberg à Cologne
© dr

Avec ce concert commence notre sorte de seconde présence à la Musik Triennale Köln, cette année tournée vers l’œuvre du compositeur italien Luigi Nono (qui nous a quittés il y a quinze ans). Le vaste cycle Omaggio a Luigi Nono permit d’aborder l’univers du musicien qu’il replace dans son contexte. Cet après-midi, la salle Klaus von Bismarck présente un programme vocal d’une grande pertinence, s’ouvrant sur un chœur tardif de Schönberg avant de faire entendre deux pièces de son gendre Nono, puis deux autres de Luigi Dallapiccola auquel le précédent rendit lui-même hommage.

En 1950, Arnold Schönberg écrit quatre chœurs qui ne sont pas sans rappeler son Moses und Aaron inachevé. Il souhaitait en composer une cinquantaine, mais n’en réaliserait que quatre. Parmi eux, De Profundis Op.50b commandé par la Fondation Koussevitzky. Il s’agit du Psaume 130 chanté en hébreux. « Chanté » pour ainsi dire, car en fait à la fois chanté et parlé. Reinbert de Leeuw en donne une lecture fiable en ce qui concerne la mise en place, mais sans nuances et peu sensible. On apprécie les qualités de précisions et de fidélité du SWR Vokalensemble Stuttgart.

Après cette ouverture a cappella, la suite du concert se veut italienne.
D’abord avec Con Luigi Dallapiccola composé par Nono en 1979 pour six percussionnistes, trois modulateurs, trois générateurs de fréquence et quatre pick-up. Pour l’auteur, il ne s’agit en rien d’un hommage au sens habituel (« honorifique pour celui qui le rend », écrit-il avec ironie). C’est plutôt une tentative de confrontation de son propre parcours de musicien avec la pensée musicale de son aîné. La version entendue aujourd’hui bénéficie d’une grande clarté d’exécution, d’une lisibilité lumineuse, d’un soin minutieux apporté par le chef et l’ensemble Modern à la perception du moindre détail, sans pour autant que l’arbre cache la forêt.

Cori di Didone pour chœur et percussion sur des poèmes de Giuseppe Ungaretti est une commande de la ville de Darmstadt où ils furent créés le 7 septembre 1958. L’audition est entravée par des soucis de justesse sur les notes tenues des basses et des intervalles pas toujours nettement réalisés de la part des soprani, mais aussi des attaques hésitantes, dues vraisemblablement à une conduite molle. Contrairement à l’œuvre précédente, mais de même que la première, les Cori di Didone sont malheureusement donnés d’un seul bloc, sans nuances. On pourrait en conclure que de Leeuw a quelques difficultés avec le travail de chœur...

Enfin, toute la seconde partie est consacrée à Luigi Dallapiccola, avec deux œuvres. Pour commencer Tempus destruendiTempus aedificandi, deux pièces des dernières années, sur des textes latins (Paulinus d’Aquilée et Dermatus), où le compositeur semble contredire sa facture par une écriture extrêmement tendue assez inhabituelle. Cette fois, Reinbert de Leeuw développe une lecture pleine de relief, dans un bon équilibre pupitral et un magnifique travail de couleurs. La fin de Ploratus s’avère d’une délicatesse attentive. Dans Exhortatio, nous apprécions le timbre attachant d’Ulrike Becker. En pleine montée du fascisme, Dallapiccola s’osait courageusement à une dénonciation déguisée de l’horreur à venir en choisissant d’illustrer celle du passé à travers ses Canti di prigionia pour chœur et ensemble instrumental, développant un langage sériel personnel. Les artistes offrent une interprétation magistrale à cette œuvre encore rarement jouée.

BB