Chroniques

par françois cavaillès

Iveta Apkalna au grand Cavaillé-Coll
Elza van den Heever chante Wagner

Orchestre national de Lyon, Riccardo Minasi
Auditorium Maurice Ravel, Lyon
- 30 novembre 2018
l'organiste Iveta Apkalna, invitée de l'Orchestre national de Lyon
© maxim schulz

« À partir du XIXe siècle, fait observer l'historienne Joëlle-Elmyre Doussot, le contrepoint fut considéré comme désuet, contraignant. Cependant, des tentatives de renouvellement, conformes à l'évolution du langage musical, sont à signaler chez Paul Hindemith ». La meilleure preuve de cette évolution est donnée en capitale des Gaules quand, livré aux mains de fée d'Iveta Apkalna [photo], le monumental fleuron Cavaillé-Coll de l'Auditorium Maurice-Ravel et un petit ensemble cuivré et pépiant issu de l'Orchestre national de Lyon, dirigé par Riccardo Minasi, nous entraînent dans le savoureux dialogue contrapuntique, si joueur, qui boucle la série des Kammermusik de l'illustre Francfortois. Les musiciens semblent d'abord un peu mal à l’aise dans un premier mouvement ampoulé et funèbre. Puis, de vifs sursauts de clarinette en transition magnifiée par la trompette, jalonné de manière originale par l'orgue, littérale ou bien libre et généreusement révérencieux en solo, le chemin mène, de bonne fatigue, au sommet de la septième et dernière composition d’Hindemith, soit au bout d'un long fil concertant exceptionnel, tendu sur les années vingt – créé en 1927, Kammermusik n°7 clôt en effet le cycle entamé en 1921 en lien avec les Donaueschinger Musiktage, alors naissantes.

Sauter du coq à l'âne, mais oui, très justement ici ! Même si l'expression ne serait guère flatteuse pour le maître de Bayreuth... Passons aux Wesendonck Lieder (publiés en 1862), soit le plus beau quart d'heure wagnérien et tout un défi où démontrer la tendresse attendue à chaque caresse échangée par la jeune poétesse savante, Mathilde, et Richard, le génie lyrique exilé. Lancé sur le ton d'un opéra (Tristan und Isolde), Im Treibhaus paraît surtout interminable, puis Schmerzen bref et confondant même en voix, jusqu'au méconnaissable. Remplaçant au pied levé le mezzo Kate Aldrich, le soprano Elza van den Heever brille par intermittences, habile à tenir la longueur harmonique dans Der Engel comme à chevaucher le terrible Stehe still rempli d'esprit et de mystère. Grâce à son audace, le miracle de Traüme est heureusement révélé, à la fois refuge au pays des rêves et ouverture à l'immense avenir.

Après l'entracte, Iveta Apkalna [lire notre chronique du 14 octobre 2017] fait parler les tuyaux – quelque six mille quatre cents réunis en un seul instrument, grande classe ! [lire notre dossier] – en domptant Évocation II (1996) de Thierry Escaich, courte pièce répétitive et fort agréable. Survient alors la plongée en eaux plus profondes, avec la Symphonie en ut mineur Op.78 n°3 (1886) de Camille Saint-Saëns. Conduite avec aisance par Riccardo Minasi, la grande œuvre orchestrale distille le charme d'origine un peu suranné, aux parfums toujours si forts, irrésistibles au mélomane épris d'orientalisme et de Beethoven, et encore tellement surprenants. Outre l'imparable final sous un impressionnant climat fantastique, sans égal à notre appréciation, le geste tout à fait élégant, ample et romantique présente, ce soir, les signes d'une beauté évidente mais d'une séduction à retrouver.

FC