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Chroniques
Ivor Bolton et le Dresdner Festspielorchester
Jan Vogler joue le Concerto en ut majeur Hob.VIIb.1 de Joseph Haydn
Depuis 2008, le violoncelliste Jan Vogler est l’intendant du Dresdner Musikfestspiele, festival qui, chaque année au moment de la Pentecôte et pour une durée d’un mois, multiplie les rendez-vous dans la cité saxonne. Outre de nombreux artistes invités, l’événement est aussi le lieu d’expression du Dresdner Festspielorchester, formation créée en 2012 qui s’est donné pour mission l’interprétation historiquement renseignée – en matière d’organologie et de pratique instrumentale, bien sûr, comme sur le plan stylique et même, s’il s’agit d’opéra, de prosodie de la langue dans son époque – comme ce fut le cas, il y a une dizaine de jours, au Kulturpalast où Kent Nagano la dirigeait, associée à Concerto Köln, dans une exécution de concert de Rheingold, aventure wagnérienne qui se poursuivra lors des prochaines éditions.
Dans cette volonté de respect et de transmission du contexte historique, quoi de plus naturel que d’avoir fait appel, dès les premiers temps, à l’excellent Ivor Bolton (photo) en tant que chef principal ? Avec un appétit à nul autre pareil, qui le mène à servir les répertoires baroques, classiques et romantiques (avec quelques incursions dans le XXe siècle), le musicien britannique, volontiers salué dans nos colonnes dans le domaine lyrique [lire nos chroniques d’Agrippina, Orlando paladino, Gloriana, Oberon, Billy Budd, Les Indes galantes, Das Liebesverbot et d’Alceste à Madrid et au Festival d’Aix-en-Provence, ainsi que nos recensions des DVD Ercole amante, Medea in Corinto, Jenůfa, Deidamia, Das Labyrinth, Saul, Idomeno et Giulio Cesare in Egitto], donne cet après-midi un programme concentré sur un quart de siècle quant à la datation des opus présentés. Il l’ouvre avec la Sinfonia de l’oratorio biblique en deux actes Il ritorno di Tobia Hob.XXI.1, achevé par Joseph Haydn en 1775. L’abord du Largo en ut mineur place d’emblée l’écoute dans une expressivité généreusement infléchie par la netteté des timbales et des cordes très précises, tandis que l’Allegro en ut majeur bénéficie de la couleur des bois, dans un équilibre idéal entre les pupitres. De cette page clairement Sturm und Drang, en marche encore timide vers le romantisme à venir, nous apprécions l’accentuation avisée de la lecture, héritée de la rhétorique baroque mais judicieusement replacée dans l’Empfindsamkeit Stil.
Une douzaine d’années plus tôt, Haydn, qui entrait au service de Nicolas Ier, prince Esterházy, écrivit le premier de ses concerti pour violoncelle, vraisemblablement à l’attention du musicien de cour Joseph Weigl, entre 1761 et 1763. Ivor Bolton développe une sensualité inattendue dans l’exposition du cordial Moderato du Concerto Hob.VIIb.1, où il cultive une nuance hardie et heureuse. Au soliste d’alors faire son entrée, qu’il décide généreuse, dans un phrasé proprement vocal, Jan Vogler [lire notre chronique de la première du Concerto de Dai Fujikura] mettant au service de son art un Stradivarius de 1707 qu’il joue d’un archet français. Sous cette baguette et grâce aux instruments choisis se révèle un souvenir italien, galant, que les interprétations modernes ont oublié. S’ensuit l’Adagio, subtilement nuancé par l’orchestre, le violoncelliste soignant ici une sonorité délicatement obombrée. À la dignité gracile du mouvement répond le recueillement dolent de la modulation. Frisant le vivace, l’Allegro molto est emporté dans un tourbillon dont les contrastes d’attaque sont le meilleur allié, concluant avec éclat cette exécution.
Joué sans entracte, le concert enchaîne avec la Symphonie en ut majeur K.551 « Jupiter » de Wolfgang Amadeus Mozart, créée à Vienne le 10 août 1788 – elle est donc l’œuvre la plus jeune au programme. Dès l’envol de l’Allegro vivace, où l’on retrouve la détermination goûtée dans l’Ouverture d’Haydn, l’interprétation s’impose hors de cette amabilité de convention où l’on croit encore trop souvent devoir circonscrire la faconde mozartienne. Le relief et l’esprit sont au rendez-vous, loin de la mièvrerie qui présidait à la récente approche lilloise [lire notre chronique du 24 novembre 2022]. L’habilité des cors est à l’œuvre dans l’Andante cantabile, infléchi dans une tendresse inouïe. Une élégante fluidité magnifie un Menuetto qui affirme fermement son pas, dépouillé de toute fatuité, quand l’enthousiasme du Finale (Molto allegro) s’orne d’échanges minutieusement réalisés. Bravi tutti ! Si l’acoustique de la Seine musicale (qui l’accueille dans le cadre de son festival Mozart Maximum) n’est certes pas des plus mauvaises dont Paris dispose – indépendamment des difficultés d’accessibilité de ce lieu et du délire sécuritaire auquel s’adonne son personnel (c’est un autre sujet) –, voilà qui donne envie d’aller apprécier in loco le Dresdner Festspielorchester.
BB