Chroniques

par laurent bergnach

Jérusalem
grand opéra de Giuseppe Verdi

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 23 mars 2017
Speranza Scappucci joue Jérusalem (1847), un grand opéra signé Verdi
© lorraine wauters | opéra royal de wallonie

Déployant son goût pour l’exotisme et le mirifique, le Grand opéra règne sur les théâtres parisiens entre 1820 et 1850, dont Spontini amorce l’apogée avec des ouvrages tels La vestale (1807) et Fernand Cortez (1809), et Joncières le déclin en imaginant Sardanapale (1867), Les derniers jours de Pompéi (1869) et Dimitri (1876) [lire notre critique du CD]. Soucieux de conquérir une capitale qui ne met plus en doute la qualité italienne, nombre de musiciens vont remanier leurs ouvrages à destination des Français. C’est le cas de Rossini dont Mosè in Egitto (1818) et Maometto II (1820) deviennent respectivement Moïse et Pharaon (1827) et Le siège de Corinthe (1826) ; c’est celui de Donizetti qui contourne le refus napolitain de monter Poliuto [lire notre critique du DVD] pour en faire Les martyrs (1840). Verdi ne peut négliger l’intérêt qu’a pour lui « la grande boutique » depuis les succès de Nabucco (1842) et d’Ernani (1844). Si l’auteur d’Attila songe à ce dernier dès 1845, avant même la création scaligère, c’est I Lombardi alla prima crociata (Milan, 1843) qui serait adapté pour l'Opéra Le Peletier, le 26 novembre 1847 [lire notre critique du DVD].

Dans son étude Jérusalem : Verdi et la persécution de l’honneur (Édition de l’Opéra royal de Wallonie), le musicologue Paolo Isotta réfute l’idée courante du compositeur écrivant à la hâte, d’un « style inégal et paysan », comme celle d’un travail de seconde main livré pour Paris – « Le travail que coûta à Verdi cette adaptation est à peine inférieur à ce que lui aurait coûté l’écriture d’un nouvel opéra ». En effet, des lettres à ses éditeur (Léon Escudier) et librettistes (Alphonse Royer, Gustave Vaëz) le montrent attentif à rendre « méconnaissables » I Lombardi et à traquer les pertes émotionnelles et rythmiques. Plus que tout, la partition confirme le soin de la réécriture : prélude à l’ouvrage conçu ex novo, ajout d’une cabalette pour Roger (Ah ! viens ! démon ! esprit du mal !, Acte I, scène 7), scène de la dégradation de Gaston fraîchement inventée, sans même parler de l’inévitable ballet imposé du troisième acte, etc.

Directeur général et artistique de la maison dont Mademoiselle Mars posa la première pierre, Stefano Mazzonis di Pralafera revient à ses premières amours, la mise en scène, au moins une fois par saison [lire nos chroniques du 17 juin 2016, du 17 novembre 2015, du 26 juin 2014 et du 11 juin 2013]. Aujourd’hui, on apprécie qu’il nourrisse le suspense psychologique au fil de l’intrigue. Rôdant tel Iago dans la pénombre durant l’introduction, Roger tire son couteau puis le range en découvrant son rival enlacé à celle qu’il aime ; déjà, on comprend que la vengeance appellera la ruse. De même, la lente avancée d’un billot pour Gaston et la gifle du comte à sa fille conduisent à la rébellion d’Hélène via sa cabalette Non… votre rage (Acte III, scène 5). Entourant leur capitaine, on retrouve les fidèles Jean-Guy Lecat (décors), Fernand Ruiz (costumes) et Franco Marri (lumières), mais aussi Gianni Santucci, en charge d’une danse dynamique, et, en guest star, Sergueï Eisenstein à qui l’on emprunte quelques plans d’Alexandre Nevski, peu avant le final.

Côté masculin, on apprécie le ténor brillant, vaillant et impacté – quoiqu’un peu tendu –, de Marc Laho (Gaston), le baryton limpide et sonore d’Ivan Thirion (Comte de Toulouse) et bien sûr Roberto Scandiuzzi (Roger), basse aux graves solides et stables. On aime la santé de Pietro Picone (Raymond), le charisme de Patrick Delcour (Légat du Pape), la fermeté d’Alexeï Gorbatchev (Émir de Ramla), de même que les interventions, plus ou moins brèves, de Victor Cousu (Soldat), Benoît Delvaux (Hérault) et Xavier Petithan (Officier). Côté féminin, Natacha Kowalski se distingue par un mezzo clair et juvénile, tandis qu’Elaine Alvarez (Hélène) séduit par son soprano large, chaud et expressif. Préparé par Pierre Iodice, le chœur charme par sa nuance, dans une prière ou un air à boire. Enfin, applaudissons Speranza Scappucci. À l’instar du regretté Alberto Zedda (1828-2017) salué par le programme de salle, la cheffe diplômée de la Juilliard School et de l’Accademia Santa Cecilia affectionne l’opéra italien du XIXe siècle. Attentive aux voix, elle prend son temps pour dessiner un climat efficace et somptueux.

LB