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Jérusalem
opéra de Giuseppe Verdi
Certains noms sont connus de tout le monde, au delà de leur domaine de compétence. Ainsi en va-t-il de Maria Callas, d’Enrico Caruso et d’Arturo Toscanini. Le plus célèbre génie de la baguette naquit à Parme, le 25 mars 1867. Pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de cette naissance, le Festival Verdi dédie son édition 2017 au grand chef, enfant de la cité. Tandis que Paris s’affaire autour de l’avènement d’un Don Carlos en langue française, tel que conçu en 1866 par l’enfant du pays pour notre Opéra, alors plus en vue qu’aujourd’hui, l’événement annuel parmesan est inauguré ce soir par une nouvelle production de Jérusalem, le premier des grands opéras à la française écrits par Verdi, créé à Peletier le 26 novembre 1847 (Les vêpres siciliennes lui succèdera en 1855).
Sur un nouveau livret écrit à quatre mains par le dramaturge belge Gustave Vaëz et le journaliste parisien Alphonse Royer, Verdi remaniait en fait un ouvrage créé quelques années plus tôt à La Scala, I Lombardi alla prima crociata (1843) [lire notre critique du DVD]. À l’instar du Rossini Opera Festival de Pesaro ressuscitant cet été Le siège de Corinthe [lire notre chronique du 16 août 2017], le Festival Verdi se distingue en travaillant sur l’édition critique de Jürgen Selk, réalisée pour Ricordi et The University of Chicago Press. Il met à l’honneur un ouvrage trop peu donné en général, vu récemment à Liège [lire notre chronique du 23 mars 2017], et que le Teatro Regio n’avait pas accueilli depuis une trentaine d’années.
Et c’est une ouverture totalement réussie !
Les voix, la mise en scène, la fosse, tout participe merveilleusement. À commencer par les artistes du Coro del Teatro Regio di Parma, dirigés par Martino Faggiani, qui assurent une prestation remarquable pour la légèreté, la vigueur et l’intensité. Le mérite en revient également au chef d’orchestre qui, à la tête de l’Orchestra Filarmonica Arturo Toscanini, se démène pour révéler la saveur française de certains passages (le grand ballet du troisième acte, etc.). Les applaudissements chaleureux et les bravi emportés du public à l’adresse de Daniele Callegari sont plus que mérités [sur ce grand verdien, lire nos chroniques d’Ernani, Il trovatore et Un ballo in maschera].
Jérusalem est bien des ces oeuvres qui nécessitent une réalisation de type grand spectacleet qui, sans démesure esthétique, font un flop. En coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo, Hugo de Ana signe des costumes, des décors et une mise en scène qui ne dérogent pas à son talent pour ce genre, avec un art éprouvé que plusieurs fois l’on a salué [lire nos chroniques de ses Don Carlo, Samson et Dalila et Norma]. Nous retrouvons ici le goût pour la pierre, l’espace, l’horizon souvent brumeux, une lumière vivante et suggestive (Valerio Alfieri). La collaboration du designer Sergio Metalli dans les projections donne un relief encore plus impressionnant. La splendeur de la représentation, traversée de nombreuses références à la peinture sacrée, opère dans les effets comme dans le détail, notamment le soin apporté à des costumes précieux, vraiment magnifiques. Dans cet écrin se déploie la chorégraphie très sensuelle de Leda Lojodice.
Les qualités propres à chaque solistes rencontrent un bon complice en Daniele Callegari pour servir la prosodie française – pas du tout évidente, c’est le moins qu’on puisse dire ! L’élégance et la lumière quasiment divine du chant de Ramón Vargas en font un immense Gaston. On admire la fluidité du phrasé et la pureté de l’émission. Le charismatique Michele Pertusi paraît expert en diction de notre langue. Adroitement accentué, son Roger n’est pas seulement pertinent pour la musicalité : il est avantagé par un charisme irrésistible. Efficace dans le répertoire romantique italien comme dans le français [lire nos chroniques du 30 octobre 2016, du 17 novembre 2015 et du 17 mai 2013], notre chère Annick Massis est simplement idéale dans le rôle d’Hélène. Il faut dire son sens du drame et le dessin grâcieux de son incarnation ! Les autres personnages sont également bien pourvus, avec des solistes qui ne déméritent pas : Valentina Boi en Isaure, Paolo Antognetti en Raymond, Massimiliano Catellani en Émir, et surtout l’excellente basse Deyan Vatchkov, sublime Légat du pape [lire nos chroniques du 3 novembre 2015 et du 5 juillet 2017].
Mon séjour italien a donc commencé fastueusement, au point de donner envie de voir une seconde fois ce Jérusalem ! Peut-être le prolongerai-je dans ce seul but... Voilà qui promet pour les autres spectacles à l’affiche 2017, que mes prochaines chroniques vous feront suivre.
KO