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Chroniques
Jörg Widmann et le Scharoun Ensemble
Contrairement à ce que de précédents articles pourraient donner à croire [lire notre chronique], le Zermatt Festival ne joue pas que Mozart, loin s’en faut. Aussi entendons-nous quelques pages chambristes d’autres auteurs, dont certaines interprétations que gardera notre mémoire. C’est le cas de la Fieberphantasie (pour piano, quatuor à cordes et clarinette) que Jörg Widmann, compositeur en résidence de la manifestation, écrivit il y a sept ans. Ne se contentant pas de jouer son œuvre à la clarinette, le créateur prend la peine de venir la commenter avant l’exécution, évoquant sa passion pour le caractère novateur en son temps de la musique de Schumann, notamment dans les pages pianistiques, dont l’harmonie et l’inépuisable inventivité mélodique vinrent naturellement féconder son propre travail. Illustrant son propos de plusieurs exemples, traits rencontrés dans le Concerto pour violoncelle et le Concerto pour piano, entre autres, Widmann invite à une écoute plus éclairée de sa Fieberphantasie. Après de magnifiques relais d’harmoniques et de timbres effectués par le quintette à cordes sur des pôles (comme le piano altéré directement sur les cordes, par exemple), la partition ménage à l’entrée de la clarinette (clarinette basse, au début) un tapis de sons « périphériques », clapotis divers pouvant s’apparenter aux procédés qu’utilise Lachenmann ou Schöllhorn. Amorçant quelques traits cadentiels sur une pseudo pédale du quatuor, la clarinette s’exprime ensuite par sons semi « bruiteux » (souffles, impacts de doigtés et saturations extrêmes) dans une grande énergie.
Autre fort beau moment de ces soirées, l’adaptation que Brett Dean réalisa pour nonette (flûte, basson, cor, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et piano) de Till Eulenspiegels lusitge Streiche Op.28 de Richard Strauss. Ici, le poème est servi par une approche élégante, enthousiaste et pleine d’esprit, dans un rendu fort étonnant pour un tel effectif.
Moins convaincantes s’avèrent les exécutions du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns et du Quintette en la majeur D667 « Forellenquintett » de Franz Schubert. Vendredi soir, ce dernier commença plutôt bien, dans un dosage soigné où se remarquait la légèreté « pneumatique » de la contrebasse (Peter Riegelbauer). Mais à la grâce du violon répondirent l’acidité d’un violoncelle fatigué et, surtout, les débordements d’une artiste qui se crut dans un concerto pour piano et quatuor au point de s’envoler dans des traits solistiques exagérément soulignés et solitaires. Quant à la première œuvre citée, la proposition trop appuyée du récitant (Dominique Horwitz) vint écraser la musique. Tâchant d’oublier la vulgarité de cette conception, nous en retiendrons l’élégance de la contrebasse – L’éléphant – et la suavité du violoncelle de Richard Duven – Le cygne.
En revanche, Andreas Blau donnait vendredi un grand mystère aux Chants de Linos d’André Jolivet pour qui « la flûte charge les sons de ce qui est en nous d'à la fois viscéral et cosmique ». Le piano de Majella Stockhausen sut ne se faire jamais brutal, même dans les forte les plus affirmés, sans que cela ait nui une vraie conduite dynamique. Enfin, le Scharoun Ensemble signe une fort belle interprétation de la Suite tchèque Op.39 (pour cor, basson, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et piano) d’Antonín Dvořák. À la fraîcheur élégante des cordes du Prélude succède une Polka fluide et tendre dont les couleurs ravissent, ménageant au Trio central une jubilation passionnante qui n’exclut pas la subtilité des nuances sans s’égarer jamais dans une exaltation abusive. On goûte l’introduction lumineuse de la Romance par le premier violon, ainsi que la musicalité du cor de Stefan de Leval Jezierski, l’exécution s’achevant en un Furiant gentiment précieux qui ne se livre pas immédiatement pour mieux s’affermir sur ses derniers pas. Gentiment précieux.
BB