Chroniques

par laurent bergnach

Jean Deroyer dirige le Philhar’
création d’Inferno d'Yann Robin

Cité de la musique, Paris
- 13 juin 2012
création d’Inferno d'Yann Robin
© botticelli | canto XXI

Quelques jours après la création d’Echo-Daimónon [lire notre chronique du 1er juin 2012], une autre salle parisienne accueille l’orchestre manourien pour deux œuvres données en première partie de soirée : Passacaille pour Tokyo et Synapse. La première, pour piano et dix-sept instruments, fut créé au Festival d’été de Tokyo le 13 juillet 1994, et – comme le titre de cette commande japonaise l’indique clairement – revisite un genre ancien qui a l’avantage de présenter « une structure de base qui ne varie jamais avec un discours qui est en continuelle évolution ».

D’une vingtaine de minutes, l’œuvre s’ouvre sur une agitation de cuivres et de piano pour se calmer peu à peu : la matière sonore s’allège de conserve avec le ralentissement du tempo, permettant la mise en relief d’éclats percussifs, comme des scintillements occasionnels. Tenue à l’origine par le pianiste-compositeur Ichiro Nodaïra, la partie de clavier est assurée par Dimitri Vassilakis, laquelle nous entraîne d’un solo un peu fade en cours de route à la tension d’un ostinato plein de mystère qui, peu avant le finale, offre un regain d’intérêt pour cette « mise en abîme qui répercute en de multiples images un dessin initial »(dixit Manoury, résumant son projet). Car malgré les gestes vifs et tranchants de Jean Deroyer à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, la pièce paraît s’enfoncer lentement dans la monotonie.

C’est ce même chef qui créa Synapse le 13 février 2010, avec Hae-Sun Kang et Sinfonieorchester des Süddeutschen Rundfunks Stuttgart Ce concerto pour violon s’inspire de la transmission d’un signal nerveux entre deux neurones pour mettre en jeu de « petites formules qui, sans cesse, vont irriguer le discours musical ». Elles s’unissent, engendrent puis se combinent à la nouvelle arrivée, etc. « Il y a donc une transmission d’information continuelle de séquences en séquences, regroupées en blocs de plus en plus petits », le tout dernier présentant une somme des précédents « en une image sonore très dense et concentrée ». Bientôt soutenue par les cordes à la palpitation neutre, la violoniste dédicataire quitte une désolation un rien déchirante pour gagner en expressivité. Au cours de cette demi-heure, elle impose son propre rythme, s’exprime seule ou s’interrompt au profit de l’orchestre (vents et cuivres). Ici encore, les décharges percussives enrichissent une composition globalement aérée qui s’achemine vers la compacité.

Malheureusement, comme pour La nuit de Gutenberg [lire notre chronique du 24 septembre 2011], la déception gagne. Certes, le jeune soixantenaire s’avère soucieux de complexité et de cohérence – « Pour moi, confie-t-il à Véronique Brindeau, l’idéal, c’est de pressentir une structure sans pouvoir la saisir. Une œuvre dont je vois les ficelles me laisse froid. Si je ne vois aucun fil, je suis tout aussi indifférent. » (in Cité musiques n°69) – mais au risque de suivre des sentiers subtils qui, de l’extérieur, s’apparente à l’égarement du labyrinthe. Renonçant à la surprise de la bifurcation franche comme à l’exploration timbrique, Synapse finit par piétiner, sans même le charme (certes grossier) de quelque artifice répétitif.

Les mots de Dante, puis les images de Botticelli et Doré, ont inspiré Inferno à Yann Robin (né en 1974), mais aussi l’idée de recourir à des infrasons comme matériau signifiant, lesquels « jouent le rôle de soubassement musical, de trame dramaturgique souterraine ». Des vibrations émises par haut-parleurs ouvrent et ferment l’œuvre, mais sans disparaître lorsque l’orchestre s’affirme, et le dominent au besoin pour « souligner d’intenses moments dramatiques ». Durant trois-quarts d’heure, nous retrouvons une énergie déjà au cœur du percussif Titans [lire notre chronique du 30 septembre 2010] et de l’inventif Art of Metal III [lire notre chronique du 3 octobre 2009] – ébauches de saturation, relief du grain des cuivres, notes perçantes, décharges aux cinq grosses caisses, etc. –, alternant avec des accalmies toutefois sinueuses et anxiogènes. Hélas, là encore, plus la création se dessine, moins elle passionne, avec l’amère impression d’un savant recyclage d’effets comme d’une concession à une esthétique en vogue (que confirme la dédicace à l’actuel directeur d’un célèbre institut de recherches musicales).

LB