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Chroniques
Jean-Guihen Queyras et l’Ensemble Resonanz
œuvres de Moon, Rihm, Schönberg et Schreker
Des quatre œuvres données ce soir aux Bouffes du nord, trois sont des raretés que Jean-Guihen Queyras [photo] et l’Ensemble Resonanz proposent de relier à Vienne et à l’aboutissement atteint par Verklärte Nacht. Le programme y intègre donc la Vienne de 1900 avec Franz Schreker, puis notre contemporainWolfgang Rihm, avant de revenir à la période de transition entre les styles baroques et classiques, avec Georg Matthias Monn et sa «Vienne tournée vers l’Italie ».
Écrit par un musicien de vingt-et-un ans, Le Scherzo de Franz Schreker (1899) sent encore la jeunesse et permet d’évaluer le chemin parcouru lorsqu’à peine trois années plus tard il présente l’opéra Flammen dont la technique est beaucoup plus maitrisée. Très romantique, dans la veine des premières œuvres de Pfitzner, cet opus montre l’influence du maître Bruckner et de ses premières symphonies, tout en appliquant déjà des changements rythmiques novateurs. Les cordes de l’Ensemble Resonanz [lire notre critique du CD Eisler] ne déméritent pas en portant cette musique vers un joli flux romantique, surtout dynamisé par l’excellent groupe des seconds violons.
Nachtordnung de Wolfgang Rihm (1976) est également une œuvre de jeunesse, l’artiste ayant alors vingt-quatre ans. Fragmentée en sept morceaux pour un ensemble de quinze cordes, elle nécessite que Jean-Guihen Queyras quitte l’archet pour la baguette et démontre son habileté à coordonner l’ensemble. Dans la continuité de Webern, mais avec plus de liberté d’écriture, cette page prouve avec quelle aisance Rihm composait déjà et de quelle façon sa technique intégrait un style personnel. Resonanz sonne ici différemment et fait cette fois ressortir des premiers violons de bonne tenue, très attentifs aux indications du chef.
C’est un autre monde sonore que celui du Concerto pour violoncelle de Georg Matthias Monn (1746), compositeur mort à trente-trois ans, la même année que Bach. D’un style proche de Corelli avec des sonorités empruntées à Couperin, l’œuvre présente un intérêt relativement faible par son manque de personnalité, même si elle développe une technique solistique assez avancée pour l’époque, surtout dans le troisième mouvement (Allegro non tanto). Schönberg avait trouvé le compositeur suffisamment intéressant pour transcrire « librement » un concerto pour clavecin en concerto pour violoncelle, à l’attention de Pablo Casals. Il est dommage que Jean-Guihen Queyras n’ait choisi ce dernier plutôt que celui de Monn, mais il maîtrise par cœur sa partie, semblant seulement à deux instants rechercher les notes exactes. En bis, l’extrait de la Suite en ré mineur BWV 1008 prouve la nette supériorité du maître de Leipzig parmi les créateurs de sa génération.
Autre œuvre supérieure, Verklärte Nacht Op.4 (1899) est ici donnée dans sa version pour cordes (1917) qui, avec vingt-deux instrumentistes, laisse entendre les sonorités combinées du septuor original et de son adaptation pour orchestre. Dans la même approche que l’enregistrement réalisé pour Harmonia Mundi, les interprètes l’abordent avec une douce mélancolie, sans la surcharger de chaleur ni de romantisme. Au sein de l’ensemble, très précis malgré l’absence de chef (Queyras dirige du violoncelle), soulignons la remarquable prestation du premier alto, dont les soli très impliqués soulignent l’importance.
Ce concert aura permis de découvrir des œuvres rares très bien exécutées, mais si leur lien commun était censé être Schönberg, il faut admettre qu’aucune des trois n’approche le génie de Verklärte Nacht.
VG