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Chroniques
Jean la Chance
spectacle de François Orsoni
L'autre jour, à la télévision, on entendait parler d'un footballeur payé en millions, suivi de cette remarque du journaliste qui, après avoir transformé la somme en un nombre donné de smic – salaire minimum interprofessionnel de croissance (!) –, en déduisait que nous vivions dans une société où la vie d'un homme vaut mille fois moins que celle d'un autre. Dans Jean la Chance, ce n'est pas la force de travail qui se vend, mais – cela revient au même – une série d'objets manufacturés et d'êtres vivants. En effet, inspirée par un conte de Grimm, écrite à l'automne 1919, retrouvée dans les archives du Berliner Ensemble dans les années quatre-vingt dix pour, enfin, être traduite chez nous en 2005 (L'Arche Éditeur), la pièce inachevée du jeune Brecht présente une suite de trocs assez peu conventionnels : une maison s'échange contre une charrette, elle-même abandonnée pour un manège, lequel est délaissé pour suivre une femme, etc.
Metteur en scène du spectacle, François Orsoni résume ainsi le rôle-titre incarné par Alban Guyon : « face à un monde vénal, rythmé par des relations d'échange, organisé et façonné par le mensonge, un grand mensonge, Jean reste fidèle à son intuition et à sa vérité : il vit en écoutant son corps, la nature qui l'entoure, l'âme des gens qu'il rencontre ». Malheureusement, son statut d'idiot s'impose à mesure que transparaît son inadaptation aux règles de l'échange. On le vole, on le méprise, mais tout compte fait, l'homme se satisfait de ses choix, comme lorsqu'il perd ses chevaux mais gagne comme ami un philosophe. Dès lors, le public ne peut que réfléchir à la notion de libre arbitre, et à sa propre place de juge dans la société.
Ici, la distanciation fonctionne à plein régime : les comédiens Suliane Brahim, Clotilde Hesme et Thomas Landbo se préparent et se changent à vue en fond de scène, incarnant différents personnages à l'aide de masques, de perruque et de chapeau claque. Le débit de paroles s'avère rapide, et électrique la musique omniprésente de Thomas Heurer. Ancien des Bérurier Noir, vêtu d'un kilt, le guitariste livre des morceaux à l'énergie punk-rock, accompagné tantôt par un synthétiseur (qui se fait harmonium d'église ou carillon de boîte à musique), une trompette et un saxophone, mais surtout par le chant musclé de comédiens qui prennent le micro à tour de rôle, donnant à la représentation des allures de comédie musicale douce-amère.
LB