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Jean-Philippe Rameau | Zoroastre (version de concert)
Jodie Devos, Véronique Gens, Reinoud Van Mechelen, Tassis Christoyannis, etc.
Sa vie, ses idées et sa langue désormais bien documentées en français, Zoroastre s’est fait un nom ici. Maintenant, le prophète du mazdéisme – VIIe siècle avant notre ère – s’adresse même à l’amateur d’art lyrique français, par la voix de cantatrices remarquables tel le mezzo mystique Ariana Vafadari ou bien la plume de librettistes confirmés comme l’écrivaine Leili Anvar. Mais en 1749 déjà, Jean-Philippe Rameau proposait la tragédie lyrique Zoroastre [lire notre chronique du 8 août 2005 et notre critique du DVD]. Portée par la vague d’exotisme liée aux ambassades reçues à Versailles, il s’agit plutôt d’une mascarade où le plus grand compositeur d’opéra que comptait alors le pays y repousse ses limites et, près de trois siècles plus tard, atteint à nouveau sa cible en charmant le public parisien.
Sous le signe de la dualité manichéenne, l’Ouverture crépite, vrombit, puis unit ces deux extrêmes pour porter un gracieux thème pastoral jusqu’à sa ponctuation éclatante, voire explosive ! À la tête de l’orchestre Les Ambassadeurs–La Grande Écurie [lire nos chroniques de The fairy queen et de Per l’orchestra di Dresda], Alexis Kossenko inculque le bon rythme, levant même une petite tempête en Bactriane pour le très bref prologue de l’Acte I. Graves, vibrantes et d’excellente diction, les voix de baryton de David Witczak (prêtre Zopire, puis Ahriman) et du volcanique Tassis Christoyannis (l’usurpateur Abramane) s’ourdissent à mesure que les vilains fomentent, dans un climat musical sombre habité par les violoncelles, la pleine disgrâce de l’exilé Zoroastre. Avec l’entrée de l’ignoble princesse Érinice, pour qui le soprano Véronique Gens trouve les justes accents, le propos devient de plus en plus théâtral.
Légers en apparence et parfois irrésistiblement dansants, les interludes dominent la soirée et, comme emprunts d’une certaine magie, se conjuguent aux élans délicats et enchanteurs délivrés par le Chœur de chambre de Namur. Ainsi, quelle sensualité chez les jeunes Bactriennes consolatrices ! Sur leur lancée, les excellentes soprani Jodie Devos (Amélite, infortunée héritière du royaume de Bactriane) et Gwendoline Blondeel (sa suivante Céphie) rivalisent de fraîcheur, de charme et de finesse. Pourtant, le premier acte est clos dans un séisme musical, parsemé des furieux éclairs d’Érinice surgissant pour commander l’enlèvement d’Amélite aux esprits cruels. Infernal, le chœur sème la terreur et se venge, odieux, de l’innocente.
« Le dieu de Zoroastre est un dieu favorable,
C’est l’amour qui dicte ses lois ».
À la grandeur de l’opéra français conçu à Versailles, le ténor Mathias Vidal apporte beaucoup en incarnant, de manière fébrile et touchante puis ardente et audacieuse, le jeune Abénis, disciple de Zoroastre qu’habite la dévotion. Même sur un ton passager de pastorale, et traversé d’Indiens, de Mages et autres adorateurs d’Orosmade (ou Ahura Mazda, le créateur du monde dans la mythologie perse), l’Acte II ne fait que souligner la croyance absolue en la voix de l’amour, comme l’assène le chœur inébranlable, bientôt ravissant et sensible dans sa toute fervente apogée. Le ballet du II, d’une musique si expressive, colorée et variée, relève du grand art. Il est lancé sur les ailes de Reinoud Van Mechelen (Zoroastre), ténor d’un feu noble et chevaleresque, tout au long de ce grand rôle d’ardent amant. Entre-temps, l’appel d’Orosmade a retenti à travers les rayons d’un orchestre brûlant, et toute allégresse de se déchaîner, sans rien négliger pour autant de l’ode à la nature. En effet, c’est bien l’amour qui est célébré dans un lyrisme pluriel savamment équilibré.
Ainsi quand Zoroastre rejoint Amélite en duo langoureux et la sage liesse des chœurs, le tableau idyllique est teinté d’une légère ivresse par les brèves vocalises, sublimes, de Jodie Devos. Mais la colère noire d’Abramane et les merveilleuses lamentations d’Amélite – Jodie Devos, toujours, arc-en-ciel en voix – ne cèdent en superbe qu’aux échanges fabuleux, sous la baguette magique du maestro Kossenko, entre Zoroastre, qui a définitivement fendu l’armure, et les peuples élémentaires, êtres merveilleux. Le ballet qui s’ensuit paraît aussi grandiose que mélodieux et l’orchestre heureux maître de danse.
L’héroïsme de Zoroastre encore un peu agrandi, le sauvage obscurantisme d’Abramane décuplé le verbe haut, l’Acte IV empeste la vengeance, désir magnifié par le fiel joyeux de Zopire, ainsi que par des ensembles démoniques conséquents. Le défilé de masques continue en sens inverse au dernier acte, dans le contentement serein. Les chœurs devenus angéliques et l’épanouissement de Van Mechelen en tracent le chemin, l’apothéose orchestrale suit, avant les effusions extatiques... Après le final, le chœur livre en bis les derniers mots prévus par le livret, appel à une douce paix comme un secret gardé au fond du cœur, plus fort que tous les mots des prophètes.
FC