Recherche
Chroniques
Jenůfa
opéra de Leoš Janáček
C’est le 4 avril dernier que Jenůfa, le plus célèbre des ouvrages lyriques de Leoš Janáček, a fait son entrée au répertoire du Théâtre Mariinski, à l’initiative de Valery Gergiev. L’on en confia la réalisation à un metteur en scène de vingt-trois ans, Vassili Barkhatov, qui déjà compte à son actif Der Musikdirektor de Salieri (Rostov), Der Schauspieldirektor de Mozart (Rostov), le Journal d’un disparu de Janáček (Moscou) et, pour la fameuse maison pétersbourgeois, Benvenuto Cellini de Berlioz et MoskvaTchériomouchkide Chostakovitch. Le jeune artiste, qui place Britten et Janáček en bonnes places dans son panthéon intérieur et qui signera bientôt une nouvelle production de L’affaire Makropoulos, nourrit l’espoir de s’atteler un jour à De la maison des morts. Indéniablement, le travail qu’il présente avec cette Jenůfa s’affirme talentueux.
Forte est l’option de cette mise en scène qui insiste surtout sur la dimension sociale du drame de Gabriela Preissová (1862-1946) mis en musique par Janáček. Tout s’y passera dans un silo surmonté d’une baraque qu’on pourra dire suspendue à sa touche. Cependant, si l’on put regretter hier une direction d’acteurs trop faible [lire notre chronique], on déplorera dans celle de ce soir le peu de confiance qu’elle accorde aux chanteurs dont elle régit jusqu’au moindre geste. Cette tendance vient d’ailleurs écraser le matériel principal, ne faisant pas plus confiance au texte et à la partition, parfois jusqu’à les rendre absurdes. Ainsi de ce deuxième acte pour lequel on a déplacé dans le plein air du silo les éléments d’un intérieur rural : la métaphore, diablement puissante, s’annule alors, obligeant un recours à des détails naturalistes – dont on saluera d’ailleurs l’à propos et la justesse. Dans ce spectacle, l’on n’appréciera guère la profusion d’actions parallèles venant parasiter l’action principale ; certes, on peut dire que Vassili Barkhatov sait créer de la vie sur un plateau, mais au risque d’y perdre la concentration nécessaire sur l’essentiel. De fait, l’on s’agite énormément dans cette Jenůfa, mais il ne s’y passe, au fond, pas grand’chose. Le sentant bien mais pas suffisamment pour revenir sur certains choix, Barkhatov surenchérit, sans que ce grossier surlignage – d’ailleurs joué sans conviction (la Sacristine tentant de se brûler vive en enflammant d’une allumette la vodka qu’elle vient de répandre sur sa robe, par exemple) – émeuve quiconque. C’est donc aussi au public que le jeune homme ne fait pas confiance !
Si l’Elektra de samedi s’imposait, cette soirée n’est guère convaincante. En fosse, Valery Gergiev favorise une sonorité ronde, héritière d’un romantisme discret. Si l’option paraîtra justifiée, sa réalisation, dans une épaisseur souvent dangereuse pour l’équilibre général, demeure inapte à traduire le drame. La lecture paraît dès lors terne et même endormie, sauf à certains moments de cristallisation des événements ou sentiments que Gergiev surcharge d’une frappe lourde et sans vigueur. Il semble que le chef ne goûte pas les délices des vents de Janáček qu’il tire vers Brahms et Tchaïkovski, sans autre considération pour leur spécificité. Au fil de la représentation, son accompagnement s’alourdit encore, se fourvoyant définitivement.
Demeurent les voix.
Avec, tout d’abord, une prestation chorale simplement formidable, en tous points. Alexander Guerassimov est un contremaître un rien fatigué, mais présent. La Buryovka d’Elena Vitman offre un chant sain d’une grande fiabilité, pour une incarnation cependant assez peu crédible. Angelina Dachkovskaïa compose un Jano remarquable, au timbre haut perché, ménageant volontairement un impact presque un peu faux, sans l’être vraiment, comme on l’entend toujours chez un garçonnet. La Karolka d’Ekaterina Solovea se montre tant agile qu’attachante. On retrouve le ténor Sergeï Semichkur dans le rôle de Števa qu’il sert d’une couleur agressive à souhait et d’un aigu lumineux ; on regrette, là encore, la mise en scène qui caricature le personnage au point qu’on se comprend pas qu’il puisse plaire à quiconque. Ce travers s’applique également à Laca, montré ici comme un gros idiot de village, arborant un pied bot, qui plus est ! Rien à voir avec la délicatesse d’une option comparable prise à Liège par Friedrich Meyer-Oertel [lire notre critique du … 2005]… En revanche, l’on saluera la prestation écrasante de Jorma Silvastri, exemplaire. Avec une puissance vocale impressionnante, Larissa Gogolevskaïa campe toutefois une Kostelnička peu investie à laquelle on ne croit guère. Enfin, la Jenůfa d’Irina Mataeva est un bonheur à elle seule : la ligne de chant est magnifiquement menée, l’émission d’une pureté rare, l’expressivité va de soi, de même que l’incroyable présence scénique, d’un naturel confondant. Mais, à cause d’une mise en scène appuyée aux indications que l’on devine excessives, comme à une direction musicale grossière, toutes ces voix, par-delà leurs belles qualités, hurlent en ne nuançant que trop peu.
BB