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Chroniques
Jenůfa
opéra de Leoš Janáček
Pour Angers-Nantes-Opéra, Patrice Caurier et Moshe Leiser signent une nouvelle Jenůfa, le plus célèbre des opéras de Janáček, une mise en scène qui n'insiste pas sur le côté folkloriste que l'on crut bon de voir dans cet ouvrage, alors qu'il s'agit plus précisément d'un ancrage profond dans un certain contexte. La jeune femme, en effet, s'y trouve enfermée dans la vie rurale – on pourrait dire « par nature » – et dans les méandres d'une filiation contrariée – celle de la famille Buryja. De fait, les maîtres d'œuvre concentrent l'attention sur l'essentiel : l'amour de Jenůfa pour Števa, la frivolité de Števa, l'amour de Laca pour Jenůfa, l'amour de la Kostelnicka pour Jenůfa, profitant des rhétoriques de l'aveu (omniprésente chez l'institutrice) et de la responsabilité (qui définit directement Laca et, par défaut, Števa).
Le climat est sombre, les hommes sont tous deux « de malheur », quoi qu'ils fassent, qu'ils s'affirment par la fécondité, la blessure ou la fuite. Dans cette approche, l'on sait dès le premier acte que l'héritier du moulin n'a pas du tout l'intention d'épouser la belle, que le sentiment de son demi-frère n'est que revendication, que la sévérité de la Sacristine que regrets ; seule la débonnaire aïeule sait oublier parfois que des riens peuvent donner du vilain. Et de cette Jenůfa trop souvent vue comme une victime, le tandem fait une accusatrice involontaire – son avancée effrayante sur la tutrice lors de l'annonce de la mort de l'enfant – qui profère des malédictions dans le savoir (Acte III : « tu connais enfin le véritable amour : qu'il ne te fasse jamais souffrir » ; de fait, le mariage de Števa sera rendu impossible par la découverte du petit corps dans la glace rompue). Outre ces grandes lignes, des détails soigneusement choisis, a priori anodins, viennent préciser les intentions de chacun, ses habitus et son destin.
À la tête des musiciens de l'Orchestre National des Pays de Loire dont on salue l'efficacité des bois, le chef britannique Mark Shanahan conduit une lecture que l'on pourra dire propre, mais infiniment trop prudente, de sorte qu'elle perd le sens profond de l'abus volontaire d'ostinati dans l'écriture de Janáček et prive l'action de la tension et de la violence nécessaires. Le Chœur d'Angers-Nantes-Opéra conjugue ses forces à celles du Chœur de l'Opéra national de Montpellier, cette union parvenant aisément à rendre compte des effets de masse et de relief, malgré des approximations parfois gênantes de la part des voix masculines.
Le plateau vocal fonctionne efficacement.
Frédéric Caton y compose un Contremaître au phrasé gracieux mais d'une puissance un peu maigre (Acte I), puis s'avère plus à son aise dans le rôle du Maire (III). Laurence Misonne donne un Jano clair à l'émission infaillible ; elle se montre parfaitement crédible en grand adolescent dégingandé. On retrouve Virginie Pochon en pétillante Karolka, Linda Ormiston compose une Mairesse persifflant à souhait, Edita Ferencikova offre une belle chaleur de timbre à la Vachère, tandis que Sheila Nadler est une Grand'mère attachante au format confortable. Moins convainquant s'avère le Laca de Richard Berkeley-Steele, vaillant mais peu souple, principalement dans l'aigu. De même Kathryn Harries accuse-t-elle un médium éteint et un aigu parfois difficile (au premier acte, notamment), sans pour autant nuire à l'émotion ; elle nuancera sensiblement sa dernière scène.
Comme un poisson dans l'eau dans le rôle de Števa, Brandon Jovanovich en présente une idéale incarnation, avec vigueur, précision et une remarquable lumière de l’aigu, bien qu'un rien étroit au I. Sa présence est bien celle d'un prédateur sensuel et d'un grand lâche qui, à l'heure de vérité, des mea culpa et des pardons, prend indignement la fuite. Enfin, le rôle-titre est confié à Olga Guryakova dont la voix évolue vers une plénitude remarquable, ce qui, dans l'immédiat, semble lui poser quelques soucis de gestion des nuances, mais qui promet de probables délices pour un proche avenir. Sa Jenůfa est d'airain, d'un impact bouleversant.
BB