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Jesper Nordin | Emerging from currents and waves
œuvres de Kaija Saariaho et Jean Sibelius
Essaimant au delà des murs de l’Ircam et du Centre Pompidou (et de la Philharmonie, comprise, selon la nomenclature initiale comme regroupant les salles du bâtiment de Jean Nouvel et de la Cité de la musique), ManiFeste propose une soirée à la Maison de la radio et de la musique. Sous la baguette du chef finlandais Hannu Lintu, c’est un programme qui s’inscrit dans la thématique nordique, l’un des axes de l’édition 2022 du festival ircamien, que l’Orchestre Philharmonique de Radio France présente au Studio 104.
Le concert s’ouvre sur l’une des dernières pages achevées de Sibelius. Créé en 1926, le poème symphonique Tapiola Op.112 dépeint l’immensité des paysages et des forêts du pays du compositeur – le titre fait référence à une divinité sylvestre de la mythologie finnoise, Tapio. La lecture du Philhar’ en fait respirer les phrases amples et denses, avec un instrumentarium riche dans les graves, comptant entre autres une clarinette basse et un contrebasson. La direction musicale évite toute sentimentalité importune dans la caractérisation des mystères de ces territoires où l’homme est comme étranger. Qualité plastique et justesse de l’expression se conjuguent avec un instinct évident.
C’est une autre figure de la musique finlandaise, Kaija Saariaho, l’une des plus grandes compositrices de notre temps, que met ensuite en avant ce rendez-vous, avec une page qui a plus d’un quart de siècle. Commande du Salzburger Festspiel, sous l’impulsion de Betty Freeman et de Gerard Mortier, Château de l’âme, cycle de mélodies pour soprano, chœur et orchestre, décline, sur des textes issus de l’Inde et de l’Égypte antique, de fascinants chatoiements qui ne se complaisent pas dans l’inspiration éthérée. Délicatement ponctués par quelques scintillements de harpe, les mélismes colorent la tension de la déclamation de Faustine de Monès dans le premier numéro, La liane. Comme un écho décanté, la réponse chorale confirme l’esquisse d’un halo mobile dans la lente psalmodie d’À la terre, avant le crescendo fébrile d’une incantation dans le troisième morceau qui puise dans le corpus hindou. Le raffinement de l’évocation rituelle se retrouve dans le deux derniers épisodes, formules issues de l’égyptologie. La fusion entre verbe et texture orchestrale, sans jamais renier la transparence, où s’éprouve l’un des aspects du génie singulier de Saariaho, est ici servie avec une intense conviction.
Il en faudra, après l’entracte, pour affronter la création de la nouvelle version de Emerging from currents and waves de Jesper Nordin, alibi pour l’inscription du concert dans la programmation de ManiFeste [lire nos chroniques des 9, 15, 17, 18 et 23 juin]. Écrite en 2018 et revue deux ans plus tard, dans une mouture réduisant la durée princeps de soixante-quinze à quarante-cinq minutes, la pièce, commandée conjointement par la Sveriges Radio, Radio France et l’Ircam, met en valeur la clarinette de Martin Fröst [lire notre chronique du 28 août 2015] devant un grand orchestre tenant lieu de bouillon illustratif, relayé par l’électronique. Les arabesques gestuelles par lesquelles le soliste accompagne et prolonge sa performance musicale ne font que meubler la vacuité sentimentaliste d’un propos propre à séduire un large auditoire, pour peu que l’on ne soit pas rétif à un kitch auquel les recherches de l’information peuvent apporter caution.
GC