Chroniques

par irma foletti

Jessica Pratt et Xabier Anduaga
récital avec le pianiste Giulio Zappa

Festival della Valle d’Itria / Palazzo Ducale, Martina Franca
- 30 juillet 2020
Jessica Pratt et Xabier Anduaga en récital à Martina Franca
© larissa lapolla

Après le confinement pour cause de Covid-19 et les annulations en séries des opéras et concerts, reprendre le chemin des salles de spectacles peut être considéré, à l’heure actuelle, comme un privilège. Même en modifiant profondément son programme (nous en donnerons les détails ces prochains jours à l’occasion de chroniques à venir), le Festival della Valle d’Itria de Martina Franca a décidé de maintenir sa quarante-sixième édition.

Il faut préciser que les soirées sont données en majorité dans la cour du Palazzo Ducale, lieu extérieur qui autorise davantage les rassemblements que les édifices fermés. Après prise de température à l’entrée de l’édifice et port du masque obligatoire lors des déplacements, on découvre l’aménagement réalisé pour l’accueil du public : les gradins surélevés ont été supprimés et presque trois cents chaises sont disposées sur toute la surface, en ménageant un vide de deux sièges entre chaque spectateur. Ces alignements géométriques valent le coup d’œil, petit labyrinthe où l’on se dirige en slalomant vers sa place. Mais la distanciation avec les artistes est encore plus frappante, ceux-ci sur le plateau, séparés de l’auditoire par la fosse d’orchestre – il faut préciser que les musiciens sont habituellement placés au niveau du sol, sans véritable fosse semi-enterrée.

Cependant, le sentiment visuel de distanciation disparaît rapidement au début de ce récital de bel canto. C’est le ténor Xabier Anduaga qui entame le programme avec le très difficile air du Comte Almaviva, Cessa di più resistere, extrait du Barbiere di Siviglia. Nous avions découvert le jeune ténor espagnol, vainqueur du Premier Prix Operalia 2019, au Rossini Festival de Pesaro en 2016 (Accademia Rossiniana et Viaggio a Reims), puis le retrouvions les années suivantes dans Le siège de Corinthe et Ricciardo e Zoraide [lire nos chroniques du 16 août 2017 et du 14 août 2018]. Depuis, sa carrière s’est formidablement développée. Il a, par exemple, chanté Almaviva à l’Opéra Bastille cette saison, dans la mise en scène – qui tourne comme un manège... – de Michieletto. Ce soir, accompagné par le piano très vivant et présent, sans être envahissant, de Giulio Zappa, les vocalises de la première partie de l’air sont un peu moins déliées que celles de la partie conclusive – pour rappel, c’est un copier-coller du rondo final de la Cenerentola. La section lente centrale est celle qui charme le plus. Le chanteur varie les nuances entre forte et mezza voce, et trouve des accents élégiaques naturels. La voix est homogène et pleine sur la tessiture. Ah ! Mes amis, quel jour de fête ! extrait de La fille du régiment (Donizetti) le montre à son meilleur, avec des graves nourris, une projection qui emplit aisément l’espace et les fameux neuf contre-uts claironnés avec vigueur. Cheval de bataille des ténors, Una furtiva lagrima de L’elisir d’amore est déployé avec élégance et legato, une grande longueur de souffle permettant d’installer un mélange de sentiments, entre mélancolie, tristesse et un peu d’espoir pour un amour prochain.

Pur soprano colorature, Jessica Pratt est plus avancée dans la carrière que son collègue, mais toujours au faîte de ses possibilités vocales, absolument bluffantes par moments. Elle en fait une nouvelle démonstration en démarrant par Olympia des Contes d’Hoffmann, Les oiseaux dans la charmille, où elle joint le geste au chant pyrotechnique : mouvements robotisés, clignements frénétiques des yeux et, quand la poupée tombe par deux fois en panne, le pianiste vient la rafraîchir avec un vaporisateur... d’eau et pas d’huile pour dégripper la mécanique ! Plus tard, En proie à la tristesse du Comte Ory (Rossini) est l’un des plus beaux moments de la soirée, une magnifique Comtesse Adèle qui hoquète de chagrin dans la première section lente, puis propose un feu d’artifice belcantiste au cours de la partie rapide : vocalises à cadences supersoniques, notes piquées et variations très inspirées dans la reprise. On retrouve cette intelligence des variations dans la reprise finale du grand air Ah ! Non credea mirarti de La sonnambula (Bellini), avec des passages pris piano, des trilles qui flottent. Tandis que la chanteuse propose davantage de volume dans son registre aigu, la partie grave reste toutefois correctement exprimée.

Les duos sont un peu moins convaincants, en particulier Chiedi all’aura lunsinghiera extrait de L’elisir d’amore, qui n’est pas le plus spectaculaire, même interprété par ces deux artistes donizettiens confirmés, invités régulièrement par le Festival Donizetti de Bergamo. Vieni fra queste braccia du troisième acte des Puritani (Bellini) amène bien plus de brillant, en détectant toutefois une note aigüe bien timide chez le ténor.

À l’issue du programme d’une durée d’une heure, les artistes accordent trois bis : une joyeuse Danza de Rossini par Xabier Anduaga, puis le final du premier acte de La traviata par Jessica Pratt, somptueusement interprété à partir d’E strano, et une partie finale Sempre libera d’un grand abattage, dotée d’aigus faciles et brillants, y compris le dernier – le mi bémol de tradition mais non écrit par Verdi –, confortable et qui pourrait durer et durer... tandis que de nombreux soprani le passent à l’arraché. Pour se quitter, un impeccable Brindisi de La traviata, non repris en chœur par le public ni accompagné d’applaudissements en cadence. Cela change de l’habitude et l’on apprécie ce moment privilégié.

IF