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Chroniques
Johann Sebastian Bach | H-Moll-Messe BWV 232
Joanne Lunn, Damien Guillon, Thomas Hobbs et Benoît Arnould
De concert en concert, de projet en projet, Le Concert Lorrain, orchestre en résidence à l’Arsenal de Metz, s’associe à divers formations chorales de qualité et de renom. Après les voix du Nederlands Kamerkoor, appréciées dans Israel in Egypt au début de la saison dernière in loco, puis une louable Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244 à la Philharmonie de Paris avec le Balthasar-Neumann-Chor [lire nos chroniques du 20 septembre 2014 et du 5 avril 2015], avec le Dansk Statsborger Vokalensemble et Marcus Creed, son chef titulaire depuis deux ans, c’estencore Bach qu’il retrouve en jouant la Messe en si mineur BWV 232.
Embarqué pour à peine moins de deux heures de musique dans l’acoustique à la fois précise et enveloppante de l’Arsenal – seule vraie réussite française en la matière, il faut le dire –, il n’est pas proposé au public qu’un simple voyage dans une œuvre célébrissime mais une redécouverte de l’esprit qui la guide, de cette pitié mandé par le pêcheur, de cette piété universelle à toutes les fois qu’il aspire à accueillir. De fait, l’impératif tragique du premier Kyrie appelle des instances supérieures, nommées par la liturgie chrétienne mais qui tout aussi bien pourront s’identifier à tout autre, innommable. La concentration du chœur opère dans une humble concentration, à travers un ciselé qui, quoique dans un tempo assez lent, ne sacrifie pas une fluidité presque intrusive. De cette relative lenteur faisons l’éloge : à l’encontre des habitudes baroqueuses, quelque chose de moins épique habite cette version, mais d’assurément plus profond, aspiration à la présence divine plus qu’au seul pardon. Le duo Christe eleison bénéficie d’un sain équilibre solistique, envahi par le méandreux retour du Kyrie par le tutti.
S’ensuit un Gloria altier, loin de cette sorte de joie niaise dont trop souvent on l’affuble. Après l’Et in terra pax de grand mystère, la ferveur du Laudamus te révèle plus encore la préciosité de l’acoustique, livrant tout le boisé du violon solo comme l’inflexion heureuse du chant – le soprano Joanne Lunn. Grâce pleinement rendue par un chœur magistral, de superbes flûtes ouvrent un Domine Deus de référence, dans la caresse du ténor Thomas Hobbs – quelle clarté ! L’enchaînement avec Qui tollis peccata mundi prend un jour irrépressible d’inquiète urgence. À chaque aria (osons le terme, en accord avec les cantates, sacrées pour la plupart), l’association rigoureuse d’un instrument ou d’un petit groupe instrumental, disons même d’une couleur timbrique, laisse goûter la maestria des musiciens du Concert Lorrain. Ainsi du hautbois inépuisable de Qui sedes ad dextram Patris, tant onctueux qu’incisif dans la voix de Damien Guillon. Ainsi encore du cor et des bassons de Quoniam tu salus sanctus fort bien tenu par Benoît Arnould, malgré un grave un rien éteint. La contagion est magnifique, avec ce Cum Sancto Spiritu vif et festif qui donne à la séquence une conclusion Grand Siècle, parfaitement assumée par les choristes danoises et les cuivres lorrains.
Une lumière confiante ouvre la troisième partie, Symbolum Nicenum, dans l’exquise souplesse du Credo – du velours… Le développement choral s’investit d’un plus franc brio, celui de la conviction enfin intégrée qu’affirme l’Et in unum Dominum fort inspiré de Damien Guillon. Le chœur suivant, Et incarnatus est, aborde le secret comme une confidence, pour mieux s’engager dans le chromatisme dolent du Crucifixus, très subtilement nuancé. La Résurrection n’en est que plus étonnante ! Le chef britannique soigne une dynamique subtile à laquelle il ne dérogera plus jusqu’à l’ultime bénédiction. La seconde aria de la basse convient mieux à Benoît Arnould qui distille un Et in Spiritum Sanctum Dominum de saine autorité, dans une couleur chaude. Si tout ce qui s’apparentait de près ou de loin au récit de la Passion arborait une lueur sereine, l’urgence expressive du Confiteor surprend : sa tendresse terminale signe une adhésion émotive, par-delà la pensée.
Plus rien d’humain ni d’ici-bas dans le Sanctus, avec son long développement suspendu ailleurs – on ne sait où…. Et Thomas Hobbs d’alors livrer un Benedictus renversant, aveuglant comme jamais. Retour à la supplication première, la rémission du monde survenant dans le dépouillement saisissant de l’Agnus Dei. De piété, il n’est cette fois plus question : la chose est sûre, en cette prière d’un continuo douloureux et d’une voix si incarnée qu’à juste titre elle redescend de cet ailleurs du Sanctus. La prière finale est celle des hommes, révération qu’on aimera entendre d’eux à eux-mêmes.
BB