Recherche
Chroniques
Johann Sebastian Bach | motets à double chœur
John Eliot Gardiner, Monteverdi Choir, The English Baroque Soloists
Alors que la presse, depuis août, s’intéresse de prêt au départ désormais imminent de Jean-Jacques Aillagon de la présidence du Domaine de Versailles et à l’arrivée de Catherine Pégard sa remplaçante, Château de Versailles Spectacles inaugure sa saison en présence du Président sortant. C’est d’ailleurs ce dernier qui, en mars dernier, a décoré en ses lieux du grade de Chevalier des Arts et des Lettres John Eliot Gardiner, l’hôte de ce soir.
Le chef britannique est connu de tous pour la passion qui le lie à Bach. Tout le monde se souvient de l’extraordinaire pèlerinage accomplit en 2000, afin de célébrer le deux cent-cinquantième anniversaire de la mort du cantor de Leipzig. Cette aventure inouïe s’est achevée en laissant pour témoignage une intégrale véritablement exceptionnelle des cantates.
Après un premier passage inoubliable l’année dernière à la Chapelle Royale, avec les Vespro della Beata Vergine de Monteverdi [lire notre chronique du 8 septembre 2010], Sir John nous revient donc, avec son compositeur fétiche, offrant un programme en forme d’hommage au lieu. Il s’articule sur les Motets (rappel de cette spécialité française)et des pièces pour orgues de Bach et François Couperin.
Ces motets composés à Leipzig entre 1727 et 1730 ont été exécutés de manière ininterrompue dans le répertoire de la Thomaskirche jusqu’au début du XIXe siècle. Ils furent la première œuvre de Bach éditée peu après 1800. Lorsqu’il les entendit en 1789, Mozart lui-même fut envoûté par leur splendeur. Malgré tout, l’on sait peu de choses avec certitudesur les circonstances de leur composition, ainsi d’ailleurs que sur leurs conditions d’exécution. Toutefois, il est plus que probable que, comme nous l’apprend le Motet BWV 226 Der Geist hilftunster Scwachheit auf, ils furent écrits à l’occasion de décès de personnalités.
John Eliot Gardiner, le Monteverdi Choir et les quatre musiciens qui les accompagnent livrent une interprétation dramatique, intense et lumineuse de ces quatre motets. Aucune de leurs nombreuses difficultés ne posent ici de problèmes. Dans ce lieu hors du temps qu’est la Chapelle Royale, expression artistique d’une Contre-Réforme à la française, la luxuriance de l’exécution s’allie à la rigueur pour donner une résonance toute particulière aux textes de ces œuvres. Oubliant les dorures, le public se laisse emporter par la jubilation que procure la musique de Bach lorsqu’elle est jouée ainsi. Dans la première partie, répartie des deux côtés de l’orgue portatif placé au centre, les vingt-huit choristes expriment avec fougue le trouble entre effroi et joie de cet appel à la mort libératrice que l’on trouve dans Komm, Jesu, Komm (BWV 229), tandis que leur diction raffinée et glorieuse efface le chagrin du deuil dans Der Geist hilftunster Scwachheit auf.
Dans la seconde partie, les deux motets les plus attendus, Jesu, meine Freude (BWV 227) et Singet dem Herrn ein neues Lied (BWV 225), portent ce concert à un niveau exceptionnel. Modifiant pour le premier la disposition du chœur, Gardiner met en lumière toute la force incantatoire de la musique de Bach. Entre de vigoureuses narrations et le recueillement à fleur de silence, où le flux ne tient qu’à un souffle des pages chorales, Gardiner souligne la palette des formes pour mieux les transcender. Dans le quatrième verset, trois solistes issus du chœur emportent l’auditoire vers des sommets d’émotion. C’est un soprano au timbre chaud et rayonnant (chantant sans partition durant toute la soirée), extrêmement attentive aux autres voix, qui éblouit particulièrement.
Soignant les contrastes, la direction du Britannique fait respirer cette musique. Il semble la retenir pour mieux la laisser s’évanouir, telle une âme qui se libère des chagrins. Du début à la fin, ce concert est un enchantement, tant la maîtrise et la poésie font vibrer une flamme ; celle qui fait l’universalité de l’offrande musicale.
MP