Chroniques

par marc develey

Johann Sebastian Bach par Gardiner
Premier rendez-vous avec le Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists

Cité de la Musique, Paris
- 4 décembre 2010

S’il est question de style en matière d’écriture et d’interprétation musicales, ni l’une ni l’autre ne peuvent s’y résoudre – il y manquerait encore le sel. Serait-ce alors que, nous attendant désormais à un son Gardiner, il nous soit moins aisément possible d’accéder à l’inouï de ce concert ? C’est peut-être qu’emmêlés dans des fils préjudiciels que l’artiste lui-même a contribué à tisser, nous n’en avons réellement reçu, au-delà de l’anecdote, que deux ou trois instants.

Dès la CantateNun komm des Heiden Heiland BWV 61, les faiblesses du ténor déplacent l’attention sur la technique. Quelques attaques pas toujours nettes, un registre grave souvent écrasé et un Altar particulièrement déplaisant (air Komm, Jesu, komm) ne sont pas rattrapés par le contrepoint très homogène du continuo. Belle rondeur de la basse au récitatif (Siehe, ich stehe). Une grande simplicité de ton et une douceur presque enfantine du soprano, malgré un commencement un peu pincé sur Offne dich, se déplient sur l’asthme léger d’un continuo un peu rude. L’énergie de l’Amen conclusif ne gagne en rien l’âme.

On apprécie l’élégance racée de la flute en ouverture de la CantateSüßer Trost, mein Jesus Kömmt BWV 151. Sur un fin mezzo-piano orchestral, le soprano, membre du chœur à l’instar de chacun des solistes, dessine avec l’instrumentiste un chemin raffiné qui n’est pas sans rappeler fugacement le Sweet bird de Händel. Mais Herz und Seele freueut sich sonne plus martial que joyeux, là où, sur Erfreue dich, en revanche, le récitatif sobre et viril de la basse convainc plus. L’alto prend plusieurs mesures pour trouver sa voix, soutenue par un hautbois tout en legato (In Jesu Demut) et avec grâce y parvient dès Mir macht . Mais le ténor déçoit encore (Du teurer Gottessohn) – si la voix est claire, quelques changements de place nous rappellent en dehors du propos. Conclusion rapide sur le choral Heut schleucht es wieder : l’homogénéité du chœur reste propre, sans toucher.

La longue et très figurée CantateWachet ! Betet ! Betet ! Wachet ! BWV 70, tout entière consacrée au jour du Jugement, séduit plus. Le contrepoint sensiblement marqué du chœur et de l’orchestre ainsi que les nuances expressives emportent enfin un peu d’adhésion – piano tendre sur Dieser Welt ; Wachet ! Betet ! viril. Un très dramatique récitatif, en bordure de bel canto, est offert par une basse sans défaut – Erschrecket ! – soutenue par un orchestre très présent. En revanche, l’alto délivre Wenn Kömmt der Tag avec comme un poids sur le diaphragme, souvent peu aidé par un violoncelle obligé d’une justesse parfois contestable. Mais le beau travail du continuo accompagne néanmoins l’ensemble. La terreur des derniers temps et la crainte du Juge se font pourtant attendre jusqu’aux derniers récitatif et air où la basse, décidément excellente, ramène un peu de présence à un travail que trop d’imperfections marginales rendent anecdotique. Le chœur, confus au-dessus de l’orchestre, laisse se perdre les paroles de l’acte de foi du choral conclusif.

Ce n’est, au fond, qu’au Concerto pour violon et hautbois en ut mineur BWV 1060a, et au bis, le très-célèbre choral d’ouverture de la Cantate Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140, que furent incontestablement réunis le sel et le style. Du premier, on retient surtout la belle qualité concertante déployée par les deux solistes et l’orchestre. Quelque chose de précieux, velouté presque, dans l’accentuation régulière et très tirée de l’Allegro laisse une impression légère de musique de cour. L’Adagio émeut, le travail instrumental est superbe, les solistes chantonnent l’un avec l’autre, parfois en limite de son. L’Allegro final conclut très classiquement cette belle page, dans une touchante homogénéité de ton. Du second il n’est quasiment rien à écrire. Sinon la foi, l’adhésion est emportée, l’Alleluia ravit sur le rythme ne varietur de l’orchestre. Et nous nous prenons, oui, à regretter de ne découvrir que si tard dans la soirée pareille qualité de musique.

MD