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Chroniques
Johann Sebastian Bach | Weihnachtsoratorium BWV 248
Nuria Rial, Ann Hallenberg, Mauro Peter et Andrè Schuen
En cette heure tardive de l'année, voici donc les chants de Noël ! Les mélomanes français ne peuvent l'oublier, sous l'influence grandissante de traditions musicales étrangères de saison. Dans les têtes innocentes, jusqu'à preuve du contraire, s'impose sans doute le tiercé formé par Le Messie d’Händel, Casse-noisette de Tchaïkovski et l'Oratorio de Noël de Bach. Et si cette œuvre du Luthérien retient particulièrement l'affiche aux confins de 2017, c'est peut-être pour mieux fêter les cinq cents ans de la naissance du protestantisme, des suites de la publication de la Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum (Dispute sur la puissance des indulgences) par le jeune professeur de théologie Martin Luther, à Wittemberg, en Saxe-Anhalt.
En tout cas, à la rencontre de l'Orchestre national de France dirigé par l'habile vétéran anglais Trevor Pinnock – grand bienfaiteur du baroque à la tête de The English Concert pendant près de quarante ans (avec, pour bel exemple, un sublime Didon et Enée paru en 1989) –, il y a bien, dès les premières secondes du drame, la secousse vitale attendue, l'exultation percutante, plus forte encore que celle qui viendra du Chœur de Radio France, pourtant si assuré et même splendide à l'unisson. Le charme de la première cantate semble diffusé entre les mots d'église, à travers le très sensible dialogue entre cuivres et cordes ou dans les superbes éclats de trompette, à même de briser tout sanctuaire.
D'une émission merveilleuse à en déplier l'humanité, le mezzo Ann Hallenberg chante la belle vie à voir naître [lire nos chroniques du 17 janvier 2009 et du 9 mai 2011]. Mais encore, tout en saluant aussi la magnifique sobriété du baryton Andrè Schuen [lire notre chronique de son Hamlet à Vienne], la légère grâce angélique du soprano Nuria Rial et le naturel tendre du ténor Mauro Peter aux clairs messages évangélistes [lire nos chroniques du 24 août 2017 et du 24 juin 2013], le plus impressionnant réside dans toute la diversité lyrique offerte par un certain génie de l'orchestration et par le soin de différencier chaque élément, sans la moindre répétition, comme idéalement.
Révélée au mieux dans la deuxième cantate (l'annonce aux bergers), la variété d'affects et de pensées paraît vraiment incroyable, suivant l’approche unique de Bach, grande et majestueuse. Près de trois siècles après la composition (en 1734, à Leipzig), elle éveille encore la curiosité du public pour qui la musique devient pleinement maîtresse, confidente et source de jubilation intérieure. De cette joie élémentaire, qui n'est pas nécessairement celle qui fait bondir...
Plus étincelant, le Concerto brandebourgeois en sol majeur BWV 1048 n°3 (1721), donné après l'entracte, est une autre démonstration de cohérence, rapide, alerte et touffue, et les généreux applaudissements sont autant de réponses des spectateurs extrêmement touchés. Aussi la fin du concert semble-t-elle survenir beaucoup trop tôt, avec la conclusion de la troisième cantate dans la large prière agitée, puis la somptueuse liesse du chœur. Sans poursuivre l'oratorio jusqu'à son terme (censé survenir à l'Épiphanie, à la fin de la sixième et dernière cantate), arrêtés donc à mi-parcours d'un chef-d’œuvre si bien rendu, nous demeurons partagés entre l'admiration, ou mieux encore la compréhension, d'une telle sagesse de l'écoute (ou « sagesse de l'esprit dans la résolution de problèmes formels », pour rejoindre le propos d'un fervent interprète de Bach, l'organiste Michael Radulescu) et, d'autre part, le devoir intime de défier ainsi notre arrangement de mortels avec l'au-delà.
FC