Chroniques

par david verdier

Johannes Passion BWV 245
Bach Collegium Japan, Masaaki Suzuki

Salle Pleyel, Paris
- 19 mars 2014
Crucifixion de Cornelis Engebrechtsz, au Palais Sternberg de Prague
© bertrand bolognesi, prague 2012 | cornelis engebrechtsz, crucifixion, 1518

Relativement discret en France, Masaaki Suzuki se produit à la tête de ses Bach Collegium Japan [lire nos chroniques du 22 août 2011 et du 13 novembre 2008] dans une Passio secundum Johannem un peu en avance dans le calendrier… Il n'est pas sûr que la Salle Pleyel soit le meilleur des écrins pour une œuvre et un effectif pareils. La réverbération très mate et l'acoustique fort sèche n'améliorent en rien les choses, malgré le soin évident qui consiste à répartir les dix-huit choristes sur toute la largeur de la scène. Le Herr, unser Herrscher initial s'ébroue dans un éparpillement généralisé des timbres, chacun projetant devant soi une matière sonore qui peine à s'agréger. La concentration avec laquelle le chef dirige ses troupes enlise les débats dans une grisaille d'ensemble peu compatible avec la vigueur de la partition.

Les relances et les respirations manquent de naturel, la faute avant tout à cette approche trop sage et posée. Le continuo plante des clous à égale distance, tout juste perturbé par le geste parfois véhément qui cherche malgré tout à animer le débat. L'interprétation à fleur de notes ne permet pas à des airs comme Von den Stricken meiner Sünden ou Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken de s'élever au delà du simplement convenable et en place. La justesse des intonations ne traduit pas la moindre prise de risque et l'ensemble sombre rapidement dans une couleur égale et ennuyeuse.

Gerd Türk est un Évangéliste précis et rigoureux dans ses entrées. Nulle flamme pourtant, ne viendra consumer sa déploration au pied de la Croix ou les allusions aux larmes de Saint-Pierre. Le timbre est assez neutre et l'intérêt ne tient qu'à l'abattage qu'il met parfois à animer certaines scènes secondaires de cette grande fresque vocale.

Les autres solistes connaissent des bonheurs inégaux, en particulier Peter Kooij – dont la gloire passée ne permet malheureusement pas de rivaliser avec ce qu'il offre désormais. Damien Guillon (alto) semble paralysé d'effroi en entamant son Es ist vollbracht et ni le terne Yosuke Taniguchi (ténor) ni le caverneux Chiyuki Urano (basse, Jésus) ne donnent envie de se tourner vers les sphères célestes pour y trouver un quelconque réconfort. Seule le soprano Joanne Lunn parvient à déchirer les ténèbres pour offrir un passionnant Ich folge dir gleichfalls mit freudigen Schritten.

Sans démériter, cette Passion parvient à faire mentir son titre, victime d'une probité trop sobre et de bon aloi, sans réelle incarnation du discours.

DV