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Chroniques
John Eliot Gardiner joue Bach
second rendez-vous avec le Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists
C’était il y a dix ans : John Eliot Gardiner entreprenait, avec le Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists, un pèlerinage Bach. Il souhaitait commémorer, à travers toute l’Europe et avec un passage aux USA, le deux-cent cinquantième anniversaire de la mort du compositeur. Les concerts furent enregistrés pour son propre label, Soli Deo Gloria, et sont aujourd’hui tous édités. À quelques semaines, de Noël en deux concerts et une répétition publique, il offrit aux Parisiens des cantates de l’Avent et des concerti, prolongeant ainsi ce geste musical exceptionnel.
Le deuxième concert est centré sur la Cantate Schwingt freudig euch empor BWV 36 et des extraits du Magnificat. Deux concerti pour clavecin complètent le programme, les BWV 1052 et BWV 1053. Nous commencerons par évoquer ces deux derniers, car ils permettent d’entrevoir deux facettes du génie de Bach : le caractère italianisant de certaines de ces œuvres et le sens du pastiche, du recyclage de ses partitions profanes en œuvres sacrées. Le Concerto BWV 1052 est une transcription pour clavecin d’un concerto pour violon aujourd’hui perdu. Bach le réutilisera ensuite dans trois cantates, au moins, dont Gardiner offre une illustration rajoutée au menu par un extrait de Wir müssen durch viel Trübsal (cantate BWV 146) qui en reprend le mouvement lent si mélancolique. A l’origine destiné à un hautbois ou à une flûte solo le second, le Concerto BWV 1053 connut par la suite des reprises dans diverses cantates.
Le claveciniste Robert Levin en donne une interprétation brillamment classique. Avec les English Baroque Soloists, il fait revivre tout le charme de ces instants musicaux précieux qu’a du connaître Bach avec ses amis au café Zimmermann. En ce début de soirée si glaciale à l’extérieur, il règne une harmonie évidente entre le soliste et les musiciens qui l’entourent. D’une grande clarté, son jeu s’intègre parfaitement à la polyphonie extrêmement riche que sert avec art et subtilité l’ensemble britannique.
Assis dans la salle pendant les concerti, John Eliot Gardiner monte sur scène, au côté de Robert Levin, pour expliquer la longue filiation de ses œuvres. Leur complicité et leur humour crée ainsi une relation avec le public, plus chaleureuse encore.
Mais le plus sublime moment de cette soirée, nous le devons bel et bien à la prestation du Monteverdi Choir dans les cantates et les extraits du Magnificat. Avec un chœur pourtant essentiellement composés de jeunes chanteurs, Gardiner livre de ces œuvres sacrées une interprétation d’une incandescente émotion, entre gravité et virtuosité. Ne faisant pas mentir l’adage « La valeur n’attend pas le nombre des années », les jeunes chanteurs, dont les solistes tous extraits du chœur, font vibrer avec ferveur et une réelle maturité la musique du Cantor. À les écouter on ne peut qu’être ébloui par la Cantate BWV 36, qui évoque l’amour de la fiancée pour le bien-aimé – en fait l’image de l’amour de l’âme pour Jésus. Musique de l’espérance de l’attente joyeuse de la venue du Sauveur, elle illumine les nuits d’hiver, si longues et si sombres.
Tous les solistes de cette cantate s’avèrent brillants. Nous retiendrons tout particulièrement deux d’entre eux. La voix du jeune ténor Peter Davoren est élégante et rayonnante, dialoguant ardemment avec l’orchestre et les deux hautbois. Celle du jeune soprano Katy Hill, pure et pourtant si ferme, rivalise avec virtuosité avec le premier violon, élevant l’âme toujours plus haut. Sous la direction attentive, équilibrée et toute en rondeur de Gardiner, le chœur, d’une parfaite homogénéité, fait preuve d’une énergie puissante et délicate. Egaux à eux même, les English Baroque Soloists se montrent toujours aussi merveilleux, d’une rigueur qui permet à la flamme de surgir et de s’entretenir de et par cette musique de l’éternité qui s’adresse à tous.
MP