Chroniques

par gilles charlassier

Jonas Kaufmann, Wiener Philharmoniker, Jonathan Nott
Ludwig van Beethoven, Gustav Mahler et Richard Strauss

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 23 juin 2016
le ténor Jonas Kaufmann chante SEUL tout le Lied von der Erde (Mahler) !
© julian hargreaves

Remplaçant Daniele Gatti initialement prévu pour diriger le second concert des Wiener Philharmoniker de la saison du Théâtre des Champs-Élysées, ainsi que l'usage le prescrit depuis de nombreuses années, Jonathan Nott hérite d'un programme germanique où les maniaques de la glotte rejoignent les amateurs de grandes phalanges – et une certaine frange mondaine inéluctable pour une soirée parrainée par Rolex dont Jonas Kaufmann est l'une des égéries.

Mais avant de nous attarder sur la partie la plus médiatique de ce concert, précédée par l'entracte, la première ne déroge pas à la tradition, avec son ouverture augurale. Conçue en guise d'introduction à la pièce homonyme de Joseph von Collin, Coriolan Op.62 de Beethoven affirme une dialectique puissante que la conception ciselée du chef britannique met en avant jusqu'à satiété. Par ses tutti tranchants, l'insistance de la reprise en dépasserait presque l'intention rhétorique. Du moins la clarté de la mise en place profite-t-elle aux pupitres viennois, à l'instar du solo de basson, émergeant avec une netteté trop rare, mais sans ostentation inutile, de la pénombre du renoncement. Tod und Verklärung Op.24 de Richard Strauss offre ensuite l'opportunité d'apprécier l'idiomatique palette des couleurs du Philharmonique de Vienne. La restitution équilibrée de la dynamique s'accorde quelques emphases lyriques, accentuant, de manière passagère, l'opulence à laquelle on identifie souvent le père du Rosenkavalier.

Les projecteurs s'impatientaient cependant à se tourner vers Das Lied von der Erde de Mahler, dans lequel Jonas Kaufmann défie l'usuelle répartition à deux voix des six pièces du recueil. Passons sur l'argument de la tessiture, qui se peut pallier. Plus essentiel, le contraste entre les poèmes n'échappe pas à un interprète dont la maîtrise du Lied ne fait pas de doute : les registres de voix se font l'écho de l'alternance des affects, réservant aux numéros pairs le murmure de l'intimité qui transsubstantie une écriture un peu basse pour le ténor allemand. De l'avis des aficionados, l'entrée du soliste sacrifie à une habituelle acclimatation et dissimule mal une émission aux limites de la précarité, qu’au diapason du texte du Trinklied n'atténue guère l'impulsivité de la baguette. Les couplets de Von der Jugend témoignent d'un équilibre enfin retrouvé, avec un sens de la narration qui affleure déjà dans l'évocation idéalement baignée de brumes oniriques de Der Einsame im Herbst. Ce sens de l'atmosphère se confirme aussi bien dans les quatrième et cinquième pièces – Von der Schönheit et Der Trunkene im Frühling – que le frémissement de timbres, porté magnifiquement par les musiciens, rehausse admirablement.

Après ce que l'on peut considérer comme des cartes postales ou des saynètes plus ou moins vastes ou développées, le sens de l'architecture ne se mesure réellement que dans Abschied – dont la durée équivaut à celle des cinq épisodes précédents réunis. Le cisèlement du verbe s'accomplit ici à un degré supérieur, éclairé par la lecture plus analytique de Jonathan Nott qui, s'appuyant sur les personnalités des pupitres – des soli du hautbois, de la clarinette, du violoncelle ou du violon, par exemple –, ne verse jamais dans l'assèchement intellectuel. L'intensification émotionnelle progressive affleure dans le long interlude avant la dernière strophe, sur le seuil de l'au-delà, sans cependant parvenir à porter une conclusion qui retombe dans un prosaïsme dont témoignera l'absence de halo irradiant les dernières notes.

GC