Chroniques

par cecil ameil

Joseph Bodin de Boismortier
La Cetra d’Orfeo, Michel Keustermans

Église Sainte Anne, Uccle
- 3 octobre 2003
Michel Keustermans dirige l'ensemble baroque belge La Cetra d’Orfeo
© dr

Il est toujours intéressant d’entendre un concert consacré à un seul compositeur, comme c’est ici le cas avec l’ensemble de musique ancienne La Cetra d’Orfeo (la lyre d’Orphée) qui joue la musique de Joseph Bodin de Boismortier pendant deux heures. Outre que l’on peut ainsi saisir la variété des œuvres écrites par une même personne – et Boismortier en son temps fut presque aussi abondant que Telemann –, l’interprétation impose un engagement total de la part des musiciens dans un même style. Plus remarquable est l’approche didactique adoptée par Michel Keustermans [photo], créateur et directeur de l’ensemble, prolixe sur le parcours dudit compositeur, s’évertuant à raconter, citer, expliquer en introduction de chacune des neuf pièces présentées, avec bonhomie et pour le plus grand intérêt de l’auditeur.

Le programme donne un panorama assez complet de la verve qui jaillit de la plume de Boismortier au XVIIe siècle, alternant musique de chambre, concertos et musique de ballet d’un contemporain et compatriote de Rameau et Couperin. Certaines œuvres sont accompagnées par la vielle à roue, instrument nasillard proche de la musette (ou cornemuse de salon), jouée par un spécialiste de la musique de tradition populaire, le Français Claude Flagel, installé en Belgique depuis cinquante ans. Michel Keustermans lui-même joue ici de la flûte à bec dans presque tous les morceaux, accompagné de un à sept autres instruments comprenant, outre la vielle et le tambourin, une flûte, un hautbois, un violon, un violoncelle, une contrebasse et un clavecin.

Si certains morceaux mêlent les sept interprètes, la plupart font la part belle à de petits groupes (entre deux et cinq musiciens). La Sonate en fa majeur pour flûte et clavecin, écrite pour clavecin obligé (avec partition pour le clavier) et la Sonate en trio en mi mineur pour un dessus et deux basses, interprétée par le violoncelle, la contrebasse et le clavecin, permettent d’apprécier l’intérêt d’une musique de chambre assez élaborée et fort rythmée. Par ailleurs, le caractère nettement concertant des pièces plus étoffées laisse entrevoir l’importance nouvellement accordée à une ligne chantante dans les ensembles instrumentaux, Boismortier défrichant vraiment cette nouvelle forme d’écriture : à l’inverse du Concerto en sol majeur Op.21, Zampogna et de la Casa Dolce, Sixième Gentillesse Op.33, où l’ensemble s’accorde bien de manière agréable (d’après le sens donné au terme de gentillesse) mais en noyant parfois certains pupitres, l’unisson et le dialogue tout à tour évoqués dans les formations plus restreintes par les flûtes et/ou le violon, accompagnés par les graves et/ou le clavecin en continuo, offrent une palette de sonorités bien distinctes et chaleureuses – comme dans le Concerto à cinq en mi mineur Op.37, la Sonate à quatre parties également travaillées en sol mineur Op.34 ou encore la Sonata Quinta en sol mineur pour violoncelle et basse continue.

Certes, deux pièces pour clavecin seul Op.59, L’impérieuse et La Puce, extraites d’un recueil conséquent, ne paraissent pas aussi convaincantes et semblent soudain donner raison aux détracteurs d’un auteur prolifique qui lui reprochèrent d’écrire essentiellement pour gagner sa vie. Alors qu’un des moments forts du concert, qui survient pour finir avec l’interprétation de treize extraits du ballet Les voyages de l’Amour écrit en 1736, la richesse harmonique qui résulte des combinaisons changeantes entre pupitres, pourtant limitée à quelques instruments et sans voix, donne en revanche un bel aperçu de la créativité du compositeur.

Sans conteste, le point fort de La Cetra d’Orfeo est la dynamique de groupe qu’elle livre à une musique plutôt légère, avec de belles nuances. En outre, certains interprètes sont de premier ordre, et l’on se souviendra des sonorités très généreuses et vivantes des frères Douchy (Hervé au violoncelle baroque et Benoît au violon), par ailleurs enseignants et membres fondateurs de l’orchestre baroque de Namur, Les Agrémens. On peut aussi s’arrêter à certaines imprécisions d’accords et surtout de rythme de l’ensemble, sans qu’il y ait pourtant là rien de rédhibitoire.

Quoi qu’il en soit, c’est dans une ambiance bon enfant que La Cetra d’Orfeo entame un cycle de cinq concerts intitulés Escales qui s’étaleront jusqu’en mars 2004, toujours à Uccle. En particulier, ce concert se répétera sous plusieurs formes à travers la Belgique jusqu’à la fin du mois d’octobre qui sera consacré, en apothéose, à l’enregistrement du quatrième CD de l’ensemble, un CD dédié à Joseph Bodin de Boismortier.

CA