Chroniques

par laurent bergnach

Juanjo Mena dirige l’Orchestre national de France
création française de Circle Map de Kaija Saariaho

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 7 novembre 2013
À la tête de l'ONF, Juanjo Mena joue Saariaho, Saint-Saëns et Elgar
© dr

Chef principal du BBC Philharmonic Orchestra depuis 2011 – après avoir été directeur artistique du Bilbao Orkestra Sinfonikoa (1998-2008), notamment –, l’Espagnol Juanjo Mena défend autant le répertoire que la musique contemporaine – l’œuvre de Ramon Lazkano, par exemple [lire notre critique du CD]. Il propose ici un programme qui marie les deux, de manière assez hétéroclite, à la tête de l’Orchestre national de France qui fêtera ses quatre-vingt printemps en mars prochain.

Six mois après Émilie Suite [lire notre chronique du 23 avril 2013], Kaija Saariaho voit présenter dans son pays d’adoption Circle map [lire notre entretien], pièce en six mouvements avec une partie électronique confiée à Jean-Baptiste Barrière, après sa création au Holland Festival, sous la direction de Susanna Mälkki [lire notre chronique du 22 juin 2012] ; ce même soir Nymphea Reflection ouvre le cycle de concerts que lui dédie l'Orchestre national de Lyon [lire notre chronique du jour]. D’emblée, ramenant à notre mémoire la spatialisation au seuil du ballet Maa [lire notre chronique du 17 avril 2013], la flûte dessine ce cercle inscrit dans le titre, prémisses à un Morning Wind tonique et effervescent, riche en textures. Dans les haut-parleurs, une voix ronde et sombre délivre le premier des six quatrains du mystique persan musulman Rūmī (1207-1273) qui a profondément influencé le soufisme avant d’inspirer notre créatrice – « d’abord par leurs sens et images mentales qu’ils suscitent, et puis par leur sonorité et leur musicalité ». Walls closing offre un calme trompeur, de bois et de cuivre, qui craquelle et bruisse tout du long de cette évocation de l’absence douloureuse. Tout en noirceur et tension, avec un ostinato inquiet et quelques scintillements de fond de mine, Circles métamorphose la voix d’Arshia Cont, pour générer comme une épouvante, un décret divin (« in jâne gardân ze gardéshé ân jânast » – Tout se qui tourne vient du centre). Pour Days are Sieves, les mots alanguis s’accompagnent d’une brume sonore qui se dissipe sous l’action de quelques éclairs et rend leur personnalité aux différents pupitres. Lui succède Dialogue dont le côté un rien épique et grandiloquent aurait pu saillir davantage. Enfin Day and Night, Music, apologie bucolique de la musique, encercle l’auditeur de moult piétinements, gazouillis et chuintements apaisés.

Comme pour mieux en guider la naissance, Saint-Saëns prêta ses mains à la création de son Concerto pour piano en fa majeur Op.103 n°5 « Égyptien », conçu durant un séjour à Louxor, le 2 juin 1896, à la Salle Pleyel (Paris). Aujourd’hui, c’est le pianiste Javier Perianes qui l’interprète, offrant virtuosité et belle palette de couleurs. Cependant, après le travail original de la Finlandaise, difficile de succomber aux pâmoisons et autres clins d’œil orientalistes du créateur de Nuit persane [lire notre critique du CD]. Sérénade andalouse, une pièce de Manuel de Falla donnée en bis, prolonge la couleur hispanique du mouvement médian.

Enigma Variations Op.36 fut créé à St James’s Hall (Londres) le 19 juin 1899. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un thème suivi de quatorze variations, chacune associée à des initiales ou surnoms évoquant un proche d’Elgar [photo] – épouse, pianiste ou élève, d’où la dédicace « To my friend pictured within » (« À mes amis décrits ci-dessous »). Une foule de characters se succèdent donc, dignes ou primesautiers, sereins ou endiablés, que les musiciens de l’ONF rendent d’un son mafflu et coloré qui leur donne chair.

LB