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Judith van Wanroij et le Quatuor Cambini-Paris
airs d’opéras de Luigi Cherubini, Christoph Willibald Gluck, Jean-Baptiste Lemoyne,
Nous retrouvons ce soir la belle équipe de la Saison musicale des Invalides en sa trentième édition [lire notre chronique du 25 janvier 2024], cette fois dans le Grand Salon du musée de l’Armée, pour un moment vocal et chambriste qui associe Judith van Wanroij, soprano maintes fois apprécié [lire nos chroniques de Castor et Pollux, Dido and Æneas, King Arthur, Andromaque, The rape of Lucretia, Les Indes galantes, Messe des morts, Armide, Orfeo, Alceste, Le nozze di Figaro, Issé et Die Zauberflöte], au Quatuor Cambini-Paris (Julien Chauvin et Cécile Agator, violons ; Pierre-Éric Nimylowycz, alto ; Atsushi Sakaï, violoncelle). Intitulé Les révolution de l’opéra sous Napoléon Ier, ce programme, donné exactement deux cent dix ans, jour pour jour, après la victoire de l’empereur sur les troupes prussiennes lors de la bataille de Brienne-le-Château (29 janvier 1814), est coproduit par le Palazzetto Bru Zane (PBZ, Centre de musique romantique française, Venise). Il fait entendre des airs tirés de tragédies lyriques créées entre 1774, au tout début du règne de Louis XIV sur le royaume des Français et de Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine sur les arts en ce même royaume, et 1813, veille de l’abdication de Napoléon vaincu. Les transcriptions pour quatuor à cordes des parties orchestrales sont de la main du musicologue et historien de la musique Alexandre Dratwicki, directeur artistique du PBZ.
Le récital est ouvert par Il va venir, empruntant à la Phèdre (1786) de Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796) dans laquelle, il y a un peu plus de six ans, nous applaudissions déjà Judith van Wanroij [lire notre chronique du 10 novembre 2017]. D’emblée la chaleur et l’expressivité de la déclamation frappent l’écoute, au point qu’on en oublierait le chant au profit du seul théâtre, par-delà l’intimité du lieu et de l’effectif, comme de la fulgurance de la voix. La perfection de la diction, constatée durant le récitatif, n’est pas démentie pendant l’air. Alors que cet ouvrage fut donné trois ans avant la Révolution, le menu nous transporte soudain le 6 avril 1813 en la salle Montansier où était créé Les Abencérages ou L'étendard de Grenade de Luigi Cherubini (1760-1842), en présence de Napoléon et de Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine, son épouse. L’air Épaissis tes ombres funèbres trouve avantage dans le grave majestueux de la cantatrice dont l’interprétation développe également une tendresse généreuse.
Aux délices vocales répondent ici des moments purement instrumentaux. Ainsi de trois mouvements puisés dans le corpus quartettiste d’Hyacinthe Jadin (1776-1800). Après Cherubini, nous entendons le deuxième épisode du Quatuor en ut majeur Op.3 n°1, un Adagio livré dans un relief savamment circonscrit et cependant fort attachant. Puis, après un air de Salieri, ce sera le Presto finale, dans une fraîcheur non bondissante mais délicieusement colorée, enfin l’Agitato conclusif du Quatuor en la mineur Op.3 n°3 en guise de pénultième titre du programme, dans une belle urgence jubilatoire, lestement enlevée.
Après L’ai-je bien entendu extrait d’Iphigénie en Aulide (1774) de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), où l’on apprécie une conduite parfaite de la phrase dans un legato toutefois vigoureusement prononcé, survient Par les larmes, air d’Hypermnestre dans Les Danaïdes, tragédie lyrique en cinq actes d’Antonio Salieri (1750-1825) créée le 26 avril 1784 à l’Académie royale de musique (futur Opéra de Paris, 1791). Ce legato, proprement divin, on le perçoit plus encore dans ce passage. Le 15 décembre 1807 voyait le jour La vestale de Gaspare Spontini (1774-1851) dont Toi que je laisse sur la terre bénéficie d’une grande et saine réserve de souffle, au service d’un lyrisme moelleux. Deux ans plus tard, le 21 mars 1809, c’était le tour de la tragédie lyrique religieuse en trois actes La mort d’Adam de Jean-François Le Sueur (1760-1837) dont nous goûtons ici le fort haletant Il lira dans mon cœur le plus tendre retour.
Valentine de Milan, drame lyrique en trois actes d’Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817), fait doublement exception au cadre de ce concert : composé entre 1807 et 1817, il ne serait jamais achevé par l’auteur qui décède, de sorte que Joseph Daussoigne-Méhul (1790-1875), son neveu, s’y attellerait, livrant à l’Opéra Comique une version complétée qui y serait créée le 28 novembre 1822, sous la seconde Restauration et dix-huit mois après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène. Avec plaisir, nous en découvrons l’âpre déploration Vaillant guerrier, chère et noble victime.
Le 6 juillet 1809, le général messin Antoine Charles Louis de Lasalle tombait à Wagram, à l’âge de trente-quatre ans, laissant veuve la belle Joséphine d'Aiguillon (1771-1850) dont on peut voir le portrait par Antoine-Jean Gros (1812) au musée de l’Armée. Le harpiste Martin-Pierre d’Alvimare (1771-1839) lui offre un Andante doloroso sur un poème d’André-François de Coupigny (1766-1833), Arthémise mourrut à sa douleur fidèle, récemment trouvé, que les artistes ont intégré in extremis à cette soirée. C’est à Fontainebleau, pour Louis XVI et Marie-Antoinette, que naquit la Didon du Pugliese Niccolò Piccinni (1728-1800), lui aussi protégé de la reine. L’œuvre serait ensuite à l’affiche à l’académie parisienne pour plus de deux cents représentations, connaissant un grand succès. Après un prélude péremptoire et un récitatif tragique, Judith van Wanroij et le Quatuor Cambini-Paris donnent Hélas ! Pour nous il s’expose dans une verve frémissante. En bis, ils offrent encore Ô des infortunés, déesse tutélaire, air de Julia au deuxième acte de La vestale dont la facture annonce, un quart de siècle à l’avance, la Norma de Bellini. Fort belle heure de chant et de musique que celle de ce soir !
BB