Chroniques

par bertrand bolognesi

Juliane Banse et le Quatuor Voce
œuvres de Berg, Finzi et Mendelssohn

ProQuartet / Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 15 avril 2013
Juliane Banse chante Berg au Théâtre des Bouffes du nord (Paris)
© stefan nimmesgern

En première conclusion de son cycle La voix et le quatuor – la seconde se fera le 24 juin, avec un programme Nono, Posadas et Schoeller donné ici-même par Diotima et Barbara Hannigan (dans le cadre du festival Manifeste) – par lequel il fête son vingt-cinquième anniversaire, amorcé à l’automne autour du Livre de Pierre Boulez [lire notre chronique du 10 décembre 2012], ProQuartet fait entendre deux créations qu’il commandait à la compositrice Graciane Finzi et au violoniste Heime Müller : dans ce cas, il s’agit d’une transcription pour voix et quatuor du répertoire début de siècle, dans l’autre d’une nouvelle œuvre.

C’est au soprano Juliane Banse et au Quatuor Voce qu’il est fait appel cette fois. La soirée est ouverte par la poignant Quatuor en fa mineur Op.80 de Mendelssohn. Impérative, l’exécution de l’Allegro vivace assai se concentre dans la vivacité de l’inflexion et un ton contrasté. Une sonorité sans cesse retendue par l’accentuation véhémente du motif rythmique sert le deuxième mouvement, avant une élégie plutôt exsangue (Adagio) qui trouve difficilement son chemin. La conclusion (Allegro molto) mêle à une saine fraîcheur quelques heurts qui en contrarient l’écoute.

Avec un livret prégnant, conçu par Heinz Schwarzinger à partir de la nouvelle éponyme d’Arthur Schnitzler (1924), Mademoiselle Else est un opéra de chambre pour quatuor et voix tout récemment signé par Graciane Finzi, répondant à une commande du Kammerkonzerte im Mozartsaal de Hambourg et de ProQuartet. Il s’agit donc d’une œuvre du XXIe siècle… Si l’impédance vocale et l’écriture du chant elle-même s’avèrent dramatiques et séduisantes, la partition ne sort jamais d’un accompagnement vaguement viennois truffé de redondances qui vont s’usant. On connaît de ces fascinations pour une période ancienne, l’exemple de Boesmans étant sans conteste le plus probant dans ce genre. Ici, la musique vient dater le texte, sorte de paysage sonore nostalgique qui contextualise l’argument, à situer non plus dans la création mais dans l’habillage.

Autrement intéressante se révèle l’adaptation pour quatuor et voix des Sieben frühe Lieder d’Alban Berg, qu’on connaît dans les versions avec piano ou orchestrée. Fidèle des master classes de ProQuartet depuis bientôt dix ans, Heime Müller (qu’on connut au sein du Quatuor Artemis) achevait cette transcription raffinée l’année dernière. Il y réussit des colorations entre l’autorité pianistique et les timbres de l’orchestre que le Quatuor Voce sert d’une expressivité sans heurts. Legato infaillible et teinte chaleureuse, Juliane Banse fait merveille dans Nacht, ébouriffe loyalement le lyrisme de Schilflied, conduit souverainement l’élan du Nachtigal, suspend l’écoute à ses lèvres dès le premier vers d’Im Zimmer, livre une inquiétante Liebesode et conclut le cycle en magnifiant la désinence tragique de Sommertage. Quoique l’écriture quartettiste de Schilflied convainque moins et que l’interprétation de Traumgekrönt souffre de quelques ajustements intempestifs, la singulière partie d’alto du premier Lied, les volutes du Rossignol (n°3), une nuance rendue simplement « naturelle » pour Dans la chambre (n°5) et un savant trouble, dont jamais le trait ne se trouve forcé (Liebesode) répondent idéalement à la voix.

De la Lyrische Suite de Berg (1926) nous découvrions il y a deux saisons la version originelle avec voix [lire notre chronique du 15 novembre 2010] que nous retrouvons ce soir. Voce offre une réjouissante clarté à l’Allegretto gioviale qui bientôt s’érige dans une élégante gloire à l’enthousiaste sensualité (amorces de danse), enlace adroitement l’élégie de l’Andante amoroso au surgissement contrarié de la valse – ce sont assurément ces démons dansés qui pointent du doigt la « corporalité » des sujets cachés –, chuchote sensiblement les frémissements d’alcôve, contrits dans un sotto voce asphyxié (Allegro misterioso), laisse courir le désir, en lutte avec son poids méandreux (Adagio appassionato), obéissant à l’obligation de pudeur qui crypte toute l’œuvre, souligne les « gelures » en quasi-cluster où Berg se souvient de l’Adagio de la Dixième de Mahler (quatrième mouvement, toujours), fonce frénétiquement dans le Presto delirando avant les secrètes épousailles vocales de l’ultime épisode (De profundis clamavi de Baudelaire ; version allemande de Stefan George). Après les cinq séquences jouées dans une bruissante urgence, ce Largo desolato « désincarne » peu à peu l’imprégnation instrumentale. Le chant de Juliane Banse se fond dans les intervalles épineux qui entravent l’abandon convoité au profit d’une sage anesthésie des sens.

BB