Chroniques

par bertrand bolognesi

Justin Taylor et Le Consort célèbrent Antonio Vivaldi
Il Teatro San’Angelo : Chelleri, Gasparini, Ristori et Vivaldi

Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 3 juin 2023
Trois jours durant, Le Concort célèbre Vivaldi à l'Auditorium de Radio France...
© dr

Il y a huit ans, quatre instrumentistes fondaient un nouvel ensemble dédié au répertoire baroque en général et à la sonate en trio en particulier. Distingué par de nombreux prix, invité en résidence ici et là et à s’exprimer dans beaucoup de festivals concentrés ou non sur la musique du Grand Siècle, il s’appelle Le Consort et connut rapidement une carrière remarquée. Il se trouve aujourd’hui artistiquement dirigé par le claveciniste Justin Taylor [lire notre chronique du 22 septembre 2016] et les violonistes Théotime Langlois de Swarte [lire nos chroniques du 5 juillet 2022 et du 18 mars 2023] et Sophie de Bardonnèche. Au fil de trois rendez-vous dans le bel auditorium de la Maison de la radio et de la musique, ces jeunes gens se penchent sur la production d’Antonio Vivaldi. Entre sept concerti joués dimanche, à l’heure du goûter, en compagnie de ceux de Francesco Geminiani, Georg Philipp Telemann et Giuseppe Torelli, et le concert d’hier soir spécifiquement consacré à son domaine d’exploration, avec des sonates du Vénitien alternées par des pages de Tomaso Albinoni, Giorgio Gentili, Alessandro Marcello, Giovanni Battista Reali et Marco Uccellini, le programme de ce soir, dénommé Il Teatro San’Angelo, s’ingénie à évoquer le maître dans son activité d’impresario – autrement dit de patron de théâtre lyrique.

Alors concurrent du San Moisè où furent créés beaucoup d’opéras, le Sant’Angelo, situé dans le quartier San Marco sur la rive sud du Grand Canal, n’eut pas, quant à lui, la chance d’accueillir le public jusqu’au XIXe siècle (quitte à lui montrer des intrigues de marionnettes) : ouvert en 1677, son activité fut florissante jusqu’à l’aube du dernier tiers du XVIIIe siècle, accueillant les comédies de Goldoni, puis s’est ralentie, bientôt compromise par l’occupation de la Serenissima par les armées étrangères – la française au printemps 1797, l’autrichienne sept mois plus tard et pour huit ans (de fait, cette tutelle étrangère durera pendant près de soixante-dix ans). C’est pendant la domination autrichienne que le théâtre fut définitivement fermé, en 1803 – sur l’emplacement fut érigé le Palazzo Barocci qui depuis 2009 abrite l’hôtel du même nom. À la veille de 1714, Vivaldi, alors dans sa trente-sixième année, en devient l’impresario pour quelques brèves saisons. Outre programmer les ouvrages de ses contemporains, il y donne ses Orlando finto pazzo à l’hiver 1714 [lire notre critique du CD], Nerone fatto Cesare en février suivant et Arsilda à l’automne 1716 [lire notre critique du CD] ou encore L'inganno trionfante in amore, au moment où il commence à composer également pour le San Moisè, installé quelques petites brassées plus à l’est, sur Dorsoduro – Tieteberga en octobre 1716, Artabano en 1717, Armida al campo d'Egitto pour le Carnaval 1718 [lire notre critique du CD], etc. Pourtant, le compositeur demeurera lié au Teatro Sant’Angelo pour toujours, comme le rappelle Christophe Dilys (producteur à France Musique) dans la brochure de salle.

Pour avoir le mérite d’articuler sa part vivaldienne par des pages nettement moins connues et moins servies au concert, le menu du jour accuse néanmoins une réalisation plutôt terne. Après une ouverture brillante par la Sinfonia de L’Olimpiade (créé au Sant’Angelo en février 1734), le mezzo-soprano Adèle Charvet se lance dans un Siamnavi qui peine à convaincre, tant est marquée la différence d’impédance entre grave et haut-médium. Nell’onda chiara, extrait de l’Arianna (1736) de Giovanni Alberto Ristori reste curieusement confidentiel, quand Astri aversi de Fortunato Chelleri (Amalasunta, 1719) s’avère proprement lointain. Afin de ne pas couvrir un organe qui semble aujourd’hui ne pas vouloir livrer son format véritable [lire nos chroniques de Parsifal, Ariane et Barbe-Bleue, I due Foscari et Idomeneo], que ce soit dans les extraits venus de Juditha Triumphans (1720), L’incoronazione di Dario (1717) [lire notre critique du DVD], Farnace (1727) [lire notre critique du CD], Andromeda liberata (1726) [lire notre critique du CD] ou encore de La fida ninfa (1732) de Vivaldi. On aurait beaucoup aimé aborder vraiment la Cleonice de Ristori (1718, avec l’air Con favella de’pianti) ou Rodomonte sdegnato de Michelangelo Gasparini (1714, Il moi crudele amor), aussi la frustration est grande. Quant à la prestation instrumentale, pour n’être certes pas à glisser dans le tiroir des indigences elle ne satisfait cependant guère, son peu d’expressivité – en parfaite adéquation avec cette voix étonnamment éteinte et un chant qui n’offre aux da capo qu’une ornementation contrite – ne convenant pas du tout à des musiques conçues pour la scène.

BB