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Chroniques
Káťa Kabanová | Katia Kabanova
opéra de Leoš Janáček
Káťa Kabanová est bien l’œuvre la plus noire de Janáček. Point de salut pour cette femme douce et aimante, torturée par une belle mère tyrannique et un faible mari à la botte de son odieuse génitrice. Torturée également par l’ennui, le désir d’amour, celui qui viendra par la faute. Comme s’il n’en suffisait encore à sa peine, elle retournera cet adultère contre elle. Trop d’émotions finiront par la pousser à tout avouer et à se jeter dans la Vlatva.
Point de salut, la Kabanihha qui la harcelait jadis obtient encore le dernier mot de l’opéra : non, son sacrifice ne servira personne et tout, dans cette petite ville, retrouvera sa place et ses petites tyrannies quotidiennes.
La distribution conviée au Grand Théâtre de Genève était ce soir en tout point digne de la musique tendue et chargée d’émotion de Janáček. Tous à l’aise musicalement, merveilleux vocalement, pour la plupart habitués de ce répertoire, les chanteurs ont également pris part à un spectacle intelligent et bouleversant signé Katie Mitchell. Dans des décors cadrés de près comme des tableaux ou des plans cinématographiques, l’action se déroule devant nous, centrée sur le drame humain des personnages : précis et engagé, le jeux d’acteurs est peu commun à l’opéra. Notons dans la distribution Cheryl Barker en Katia, amoureuse à souhait, tragique jusque dans ces pianissimi tendus comme des arcs, répondant au vaillant Peter Straka (Boris), coutumier du rôle, que nous voyons assimilé et assumé en pleine maturité.
Les deux tortionnaires sociaux de l’œuvre, Dikoï et Kabanikha, sont servis par Bernard Délétré, plus nigaud que méchant, et par Nadine Denize en absolue mégère. Certes, nous ne pouvons plus attendre d’elle la perfection vocale d’une jeunette, mais qu’importe – et tant mieux, même ! Quelle carrière pour le mezzo-soprano toujours prêt à rugir (comme hier à Marseille dans Elektra), formidable musicienne pour démentir à tel point les fatigues trop jeunes de chanteurs actuels.
Dagmar Pecková et Gordon Gietz sont, en Varvara et Koudriache, un couple d’amoureux d’une absolue beauté ; seuls rayons de soleil de la pièce, ces deux-là ont le charme et la tendresse d’adolescents fuyant pour sauver leur amour.
Nous apprenons avec bonheur que Jiří Bělohlávek (direction musicale) entame un cycle Janáček au Grand Théâtre : si l’on en juge par la réussite de ce soir, osons imaginer ce chef dans La petite renarde rusée, Journal d’un disparu ou De la maison des morts ! Dramatique, subtil, énergique, parfois pathétique, le chef exalte cette partition solaire et destructrice, dans un climat de luxuriance musicale permanente. De bout en bout, une réussite !
LL