Chroniques

par irma foletti

Káťa Kabanová | Katia Kabanova
opéra de Leoš Janáček

Opéra national de Lyon
- 28 avril 2023
Káťa Kabanová de Leoš Janáček à l'Opéra national de Lyon, en 2023
© jean-louis fernandez

Katia Kabanova nous prend aux tripes, ce soir, à l’Opéra national de Lyon, dans la nouvelle production réalisée par Barbara Wysocka. Il faut dire que les décors uniques de Barbara Hanicka en imposent : trois niveaux d’habitation dans un immeuble délabré en béton de type HLM, des volées d’escaliers au centre, des pièces superposées ouvertes à gauche et des fenêtres aux deux étages supérieurs à droite, au-dessus d’un espace extérieur où siège un tourniquet pour enfants. Pendant le prélude, un petit attroupement se forme autour d’une personne défunte ; ce sera l’image de la scène finale, avec Katia en ce même état de cadavre, avant qu’elle ne se relève et quitte le plateau. Jouant en contrebas, les protagonistes sont comme menacés par cette scénographie verticale monumentale qu’ils utilisent aussi en changeant de pièces et variant les entrées et sorties en fond de scène, par les escaliers ou encore par les côtés. L’acoustique de ce dispositif en boîtes superposées est, en tout cas, favorable à une forte résonance lyrique, le jeu des acteurs étant par ailleurs d’une densité qui ne se relâche pas.

En tête de distribution, Corinne Winters incarne dans sa voix et dans sa chair le rôle-titre, habituée à ce difficile emploi, en abordant à Lyon sa sixième production de l’ouvrage [lire nos chroniques de ses prestations au Salzburger Festspiele et à Genève]. Elle semble démarrer tout doucement, comme sur la pointe des pieds, mais pour s’épanouir de plus en plus, en employant un timbre riche, y compris dans sa partie grave. D’une musicalité toujours très précise, les aigus partent bientôt comme des flèches, véhiculant l’émotion, et sans chercher de performance purement vocale. Le long monologue du dernier acte bouleverse, entre tourment d’avoir trompé son mari, torture psychologique et amour encore ressenti envers l’amant Boris. Ceci avant son suicide final, quand elle se jette dans la Volga – ce soir, une pluie qui la mouille depuis les cintres. Les scènes avec Adam Smith dans le rôle de Boris sont évidemment très crédibles, sachant que les deux sont en couple à la ville. D’un instrument un peu obscur à la première écoute, le ténor se montre d’une vaillance à toute épreuve par ses aigus éclatants, doté également de sombres couleurs barytonales dans le médium [lire nos chroniques d’Otello, Les contes d’Hoffmann et Il trittico].

Natascha Petrinsky n’incarne pas une vieille Kabanicha, elle joue davantage de son pouvoir de séduction en femme élégante à perruque blonde, robe beige sur hautes bottes et paillettes sur les bras. La projection vocale n’en est pas moins vigoureuse, avec certaines notes glaçantes en limite de cri, tandis que l’extrême grave sonne toutefois de manière un peu plus discrète [lire nos chroniques de The Tempest, Lady Macbeth de Mzensk, Káťa Kabanová, Œdipe, Il tabarro, Suor Angelica, Gianni Schicchi, Das Rheingold, Lulu, Peer Gynt, Das Wunder der Heliane, Les bienveillantes, L’ange de feu, enfin de Guerre et paix]. Bien en ligne avec le rôle de Tikhon, mari soumis à sa mère, le ténor Oliver Johnston paraît moins flamboyant dans les décibels, personnage d’alcoolique, la main souvent à la bouteille [lire nos chroniques de L'incoronazione di Poppea, Falstaff et Idomeno].Le troisième ténor, Benjamin Hulett, se montre absolument formidable en Vanya Kudrjas, avec une belle voix sainement projetée, sans effort apparent [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites, Il re pastore, Saul, Ipermestra, Die Zauberflöte et Fidelio]. En Varvara, le mezzo Ena Pongrac fait entendre un instrument d’une agréable fraicheur [lire nos chroniques de Maria Stuarda et de Parsifal], le vétéran Willard White tient avec maîtrise son rôle de Dikoy et l’on remarque enfin le riche grain du baryton Paweł Trojak en Kuligin [lire notre chronique d’Hérodiade].

La direction musicale d’Elena Schwarz [lire notre chronique de Focus] laisse justement goûter à cette très haute qualité vocale en jouant le plus souvent avec délicatesse et veillant à un bon équilibre entre fosse et plateau. Tout comme le Chœur, l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon se montre dans une forme splendide et magnifie la partition de Janáček, en particulier pendant les interludes instrumentaux ou en début d’acte. Le côté démonstratif est un peu laissé de côté, par exemple la sensation de l’orage en début d’acte III n’est pas immédiate, ceci étant dû en particulier en l’absence de toute goutte d’eau sur scène à ce moment-là.

IF