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Chroniques
König Kandaules | Le roi Candaule
opéra d’Alexander Zemlinsky
Inspiré de la pièce éponyme d'André Gide parue en 1901 – elle-même trouvant ses sources chez Hérodote –, l'histoire du Roi Candaule, ce tyran de Sardes, fut choisie par Alexander von Zemlinsky pour son huitième opéra. À partir d'un livret de sa propre main, la mise en musique débuta au printemps 1935, mais resta inachevée – à l'instar d'une Lulu ou d'un Moses und Aaron qui, eux, virent la mort de leur créateur –, suite à l’exil contraint aux Etats-Unis, un pays peu enclin à encourager la représentation scénique de la nudité. C'est le musicologue anglais Antony Beaumont qui, il y a une quinzaine d'années, ressortit du tiroir une partition dont il décida de compléter l'orchestration. Après une première exécution en concert (1992), Der König Kandaules est créé à l'Opéra de Hambourg, le 6 octobre 1996. Grâce à une coproduction avec l'Opéra royal de Wallonie, cinq représentations à Liège puis cinq à Nancy offrent enfin une connaissance plus pertinente de cet ouvrage abordé jusque-là par le disque [lire notre critique], d'un créateur longtemps resté dans l'ombre de Mahler et Schönberg.
Pour le metteur en scène Jean-Claude Berutti, le partage, qu'il soit politique ou sexuel, est le sujet même de l'opéra de Zemlinsky. On y trouvera des déclinaisons : Kandaules, qui souhaite montrer sa jeune épouse à ses invités réunis en banquet, qui entraîne le pêcheur Gyges à l'approcher dans l'intimité, joue avec vie publique et vie privée, voyeurisme et exhibitionnisme. Le palais, avec son velours rouge, ses lumières feutrées, ses miroirs, ses domestiques, a ce côté impersonnel des grands palaces dépourvus d'intimité – les amis de Kandaules ont d'ailleurs tout d'un chœur antique omniprésent. La chambre à coucher, lieu de trahison d'une femme amoureuse, que des rails entraînent symboliquement dans un espace auparavant collectif, révèle définitivement l'obsession du roi pour la photographie. Ce décor étouffant, étriqué (mis à part la passerelle-terrasse, en surplomb) sert de cadre idéal à un pouvoir qui dérape, dont plus d'un innocent fera les frais. En revanche, difficile d'aborder l'affaire de l'anneau d'invisibilité dans un contexte contemporain – qui apporte finalement peu à cette production.
À part le rôle-titre – tenu par Gary Bachlund, ténor qui appelle plus d'une critique pour son timbre éraillé, des émissions parfois engorgées ou nasalisées, des attaques miaulées –, la distribution réserve de bonnes surprises. En habitué de la mélodie, Werner Van Mechelen est un Gyges concentré et crédible, à l'articulation soignée, à l'aigu fiable, à l'égalité de timbre tenue sur toute la tessiture. Barbara Haveman, au chant corsé, charnu, nuancé, incarne une reine Nyssia qui ne manque pas de personnalité, d'autant qu'elle est tour à tour cette invitée glaciale qu'on exhibe, une femme-enfant languide en pyjama rouge – discrète allusion à l'homo-érotisme qui soutend l'œuvre –, et une furie vengeresse. Enfin, les huit courtisans sont plutôt bien distribués, clairs et sonores. De par leur présence scénique, on retiendra les basses Randall Jakobsch (Pharnaces) et Jean Teitgen (Philebos), ainsi que le ténor François Piolino, incarnant un Sebas persifleur et tête à claques qui prend insidieusement son envol.
En fosse, jusqu'au cri glaçant de Mireille Bailly (Trydo, la sacrifiée), Bernhard Kontarsky insuffle une grande vivacité à l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, au risque de couvrir régulièrement les chanteurs. Heureusement, la partition l'amène ensuite à plus de moelleux.
LB