Chroniques

par bertrand bolognesi

Kaija Saariaho
du violoncelle, de la voix, du quatuor, de l’électronique…

Anssi Karttunen, Solistes XXI, Ardeo
Aspects des musiques d’aujourd’hui / Conservatoire de Caen
- 8, 9 et 10 avril 2011
la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, pour quelques jours à Caen
© priska ketterer

Ouverts hier soir [lire notre chronique de la veille] par l’Orchestre de Caen et un programme Motsch, Ravel, Saariaho, ces Aspects consacrés à la musicienne finlandaise – l’un des compositeurs d’aujourd’hui les plus joués dans le monde – se poursuivaient par l’exploration judicieusement construite de l’intime compositionnel.

Tout dévoué à la création et en particulier à celle de sa compatriote, le violoncelliste Anssi Karttunen donnait samedi après-midi un récital passionnant, sertissant le domaine contemporain dans de vielles pierres encore bien vivaces. Nous sommes d’abord en 1997 ; Saariaho écrit Spins and Spells, soit Toupies et moments, concentrant son inventivité sur deux gestes a priori contradictoire. De Petals, conçu neuf ans plus tôt, nous entendions la version sans électronique, fascinante oscillation, énergique et omniprésente. Enfin, la fragile virevolte des Sept papillons pour violoncelle et électronique(2000) concluait ce premier rendez-vous mâtiné de Bach – chant robuste d’une Suite en ut majeur n°3 BWV 1009 formidablement inspirée – et d’une Ciaconna de Giuseppe Colombi ayant connu l’an dernier une extension surprenante grâce à plusieurs compositeurs dont Kaija Saariaho qui en est l’instigatrice, pour le cinquantième anniversaire d’Anssi Karttunen – nous entendions les variations signées Tan Dun, Pascal Dusapin, Martin Matalon, Marc Neikrug, Jukka Tiensuu et Saariaho elle-même.

La soirée se penchait sur la production vocale de l’auteure. Rachid Safir et son ensemble Solistes XXI reprenaient ici un programme joué il y a quelques semaines à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Nous y avons goûté la proximité avec les opéras de Saariaho, en particulier L’amour de loin [lire notre critique DVD], à travers cinq opus spatialisés qu’illustrait le travail vidéastique de Jean-Baptiste Barrière [lire notre chronique du 14 mai 2005].

Sans conteste, le concert du dimanche matin, dans le Petit Auditorium du Conservatoire de Caen, aura le plus marqué l’écoute. La dernière fois que nous avons eu le plaisir d’entendre l’excellent Quatuor Ardeo, c’était à Venise, dans un programme Mozart, Cherubini et Reicha [lire notre chronique du 16 octobre 2010]. Les quatre jeunes femmes affirment une nouvelle fois la pertinence de leurs approches, mais aussi le rare engagement à défendre des partitions qu’il n’est pas forcément aisé de reprendre ici ou là. Car il faut bien aussi réfléchir à cette question du rodage d’une œuvre qui nécessite plusieurs exécutions, et, partant, de tout le travail que cela suppose. Ainsi de Culla d’aria de Lotte Wennäkoski, un quatuor conçu en 2003 dans une esthétique relativement minimaliste à l’inflexion prodigieusement tendre, évoluant du précaire et du répétitif vers un lyrisme généreusement vibré. Sans que la construction soit trop appuyée jamais, la pièce renoue bientôt avec le « frottement » initial qui va s’éloignant.

De Kaija Saariaho, Ardeo interpréte l’obsessionnel Terra Memoria de 2006 au chant obstiné. Les échanges de personnages musicaux et l’approfondissement de certains aspects de la trame, toujours complexe, atteignent également un lyrisme assumé, souvent debussyste. Après une déploration révoltée, de sinueux entrelacs reviennent au calme. Voilà une pièce d’une vingtaine de minutes qui explore subtilement son matériau. En fin de concert, les quartettistes exécutèrent Nymphéa, autre quatuor de Saariaho, écrit près de vingt ans plus tôt avec électronique. Nous ne saurions honnêtement rendre compte de ce moment, tant la diffusion, juste avant, de Stilleben pour électronique (1988) a capturé notre écoute jusqu’à la bouleverser. Ainsi tous les aspects de la musique de Kaija Saariaho (si ce n’est l’opéra proprement dit, certes) furent-ils abordés durant ces trois journées. Comme à son habitude, le festival ne s’est pas contenté de cette approche, mais offrait aussi une immersion pédagogique aux élèves du Conservatoire de Caen, immersion dont deux Avant-scène ont rendu compte (autour de la voix samedi, autour de pièces instrumentales et solistes dimanche).

BB