Recherche
Chroniques
Kanako Abe dirige L’Itinéraire
omaggio a Giacinto Scelsi
Débutant une sixième année de résidence à la Cité Internationale Universitaire, l'ensemble L'Itinéraire y propose un concert monographique venant illustrer le colloque Scelsi qu'il anime par ailleurs (CDMC). Ainsi entendons-nous, dans les bois chaleureux au regard du Pavillon Deutsch, un Omaggio a Giacinto Scelsi. On s'en souvient : la musique du compositeur italien, discret jusqu'à l'énigme, fut beaucoup jouée par l'ensemble dès ses premiers pas.
Dès le premier mouvement, le mystère du Trio à cordes de 1958 absorbe le public en une écoute extrêmement concentrée. Puis, la polarisation tout au long de l'œuvre, sa quasi absence rythmique, l'enveloppe dans une conscience nouvelle du corps comme résonance de ce qui est écouté. L'interprétation est savamment dosée, avec un quatrième mouvement un peu tendu, peut-être moins assuré, qui, du coup, ne sait entretenir jusqu’à la fin la magie installée par les trois autres.
Survient ensuite Réveil profond pour contrebasse seule, une pièce brève jouant elle aussi sur des micro-intervalles et demandant un accord particulier en cours d'exécution, ce qui multiplie les risques pour l'interprète. L'approximation y est moins possible encore que partout ailleurs, et, contrairement à ce que Pierre Boulez a pu dire à propos de la réalisation systématiquement mauvaise des micro-intervalles lorsqu'on ne les confie pas à la machine mais à l'instrumentiste, ceux d’Yann Dubost se révélent d'une précision irréprochable, ce qui pourrait bien indiquer que les temps ont changé.
Composé en 1963, le Quatuor à cordes n°3 commence d'une façon moins monolithique que le Trio. À nouveau enveloppé par le second mouvement, l'auditeur se trouve envahi d'un doute posé par la sonorité acide du troisième, nettement plus inquiet. Les réminiscences brièvement rassurantes du quatrième, sa nature plus vibrée, plus pleine, se voient contaminées par les tensions du précédent, tandis que la dernière station affirme les vertus hypnotiques du compositeur. Avez-vous joué à cela, étant enfant : fixer un point si longtemps qu'il vous puisse paraître lumineux et que tout ce qui l'environne s'obscurcisse, jusqu'à ce que ce point vous fasse disparaître vous aussi ? C'est ainsi que s'achève le quatuor, nous faisant retrouver l'un de ces exercices spirituels spontanés que les petits explorent comme autant de jeux innocents, et qu'enfouit l'arrivée de la raison.
Le concert s'achève sur une des pièces les plus célèbres de Scelsi, écrite dix ans après celle que nous venons d'écouter : Pranam II, qui convoque neuf musiciens dirigés par la très énergique Kanako Abe, pour une lecture minutieusement soignée. Souhaitons que nos orchestres se risquent plus régulièrement à donner les grandes pages encore rares du compositeur…
BB