Chroniques

par bertrand bolognesi

Karlheinz Stockhausen | Momente (version Europa, 1972)
WDR Rundfunkchor, Ensemble Intercontemporain, Péter Eötvös

création d’Induction de Pierre Jodlowski
Printemps des arts de Monte-Carlo / Auditorium Rainier III
- 20 mars 2014
le compositeur Karlheinz Stockhausen en 1956, photographié par Heinz Karnine
© heinz karnine | karlheinz stockhausen, 1956

Inaugurée vendredi dernier par le premier volet du Portrait Scriabine et une Nuit hongroise, la trentième édition du Printemps des arts de Monte-Carlo se poursuit encore sur quatre week-ends de concerts, dont le deuxième est ouvert par une Nuit surprenante. Surprenante, la soirée l’est en effet à plus d’un titre. D’abord, il s’agit de créer une nouvelle pièce de Pierre Jodlowski, hors du cadre des Trois minutes commandées par Marc Monnet, le directeur du festival, à treize compositeurs [lire notre entretien] ; ensuite de le faire en compagnie des danseurs de l’Académie Princesse Grace dans une chorégraphie de Gaëtan Morlotti ; enfin d’investir ensuite la scène avec une œuvre phare du troisième quart du XXe siècle, elle-même surprenante à maints égards : le fameux Momente de Karlheinz Stockhausen.

Hormis une dimension technologique non négligeable, Induction de Pierre Jodlowski ne convainc cependant guère. Loin d’adhérer au diktat de Martin Kaltenecker selon lequel « aimer la musique de Jodlowski, c’est aimer son époque », qui résume sottement à une seule esthétique notre aujourd’hui musical, on continue de voir le musicien s’éloigner de ce chemin qui retenait notre écoute il n’y a pas si longtemps. Nous le constations non sans amertume il y a trois ans [lire notre chronique du 5 février 2011] et la création du jour confirme ce qu’on n’osera qualifier de « dérive », car au fond, peut-on reprocher à un artiste de choisir une voie différente de celle dans laquelle on aurait aimé le voir se développer ? D’un tel choix, de son évolution vers ceci ou cela, il n’y a rien à dire, si ce n’est qu’ils nous en éloignent, à l’instar de Drones dont on écrivit qu’il engageait une nouvelle ère [lire notre critique du CD]. Demeure la performance de huit jeunes danseuses et danseurs.

Le vaste Momente pour soprano, quatre chœurs et treize instrumentistes connut trois versions : celle de mai 1962, qui occupait près d’une demi-heure, celle de l’automne 1965 qui doublait sa durée, enfin celle de décembre 1972, appelée désormais version Europa, dont l’exécution approche les deux heures. À vingt-huit ans, le compositeur et chef d’orchestre hongrois Péter Eötvös [lire notre portrait] était alors l’assistant de Stockhausen à Cologne. À ce titre, c’est lui qui prépara le WDR Rundfunkchor Köln qui gagne ce soir le plateau pour cette première monégasque.

Un gong, une caisse et deux orgues Hammond commencent Momente. Le chœur survient des coulisses. Bientôt, un véritable déchaînement rythmique accompagne l’entrée xdes choristes et des autres solistes de l’Ensemble Intercontemporain, selon une signature éminemment théâtrale qui jamais ne quitterait Stockhausen. Le cœur prend place dans l’espace traditionnellement dévolu à l’orchestre. Au chef de surgir – Péter Eötvös, naturellement !

Ne nous lançons pas plus avant dans la description ou l’analyse de l’œuvre – en 1998, à l’occasion de son exécution par Rupert Huber dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Emmanuel Hondré en livrait une présentation d’une parfaite clarté, disponible sur la toile [médiathèque de la Cité de la musique] –, mais soulignons l’excellence du WDR Rundfunkchor Köln qui se joue aisément d’une écriture en quarante-huit voix réelles, proprement redoutable (quel chœur français pourrait s’y mesurer ?...), avec ces interventions solistiques qui recourent tant au chant qu’au sprechgesang, à l’onomatopée (une basse s’y change fabuleusement en bœuf et en verrat, par exemple), etc. De même le soprano Julia Bauer s’engage-t-il sans compter dans une partie littéralement acrobatique qui non seulement convoque une virtuosité monstrueuse mais encore une endurance rare. De part et d’autre du second entracte, un concert d’applaudissements déjoue les codes et intègre, d’une façon typique aux années soixante (on pense à Berio, bien sûr), les réactions du public.

En voyage dès demain (reprise à Cologne), ce « programme-événement » visitera Paris mardi prochain, dans le cadre du cycle Wagner| Stockhausen que propose la Cité de la musique ; outre de le vivement recommander au public parisien, signalons-lui Mantra par Cédric Pescia et Severin von Eckardstein (mercredi 26 mars) et Carré par le Brussels Philharmonic (vendredi 28).

BB