Chroniques

par david verdier

Kati Debretzeni et Maya Homburger, violons
English Baroque Soloists, John Eliot Gardiner

Cité de la musique, Paris
- 6 avril 2013
premier rendez-vous du marathon Bach de Gardiner à la Cité de la musique (Paris)
© dr

Pas très heureux, ce titre de marathon Bach, le week-end où des milliers de parisiens parcouraient l'asphalte à la recherche de la douleur… C'est évidemment un tout autre chemin de croix que proposent Gardiner et ses troupes à traverstrois concerts donnés à la Cité de la musique et à la Salle Pleyel. On lui saura toutefois gré de n'avoir pas cédé à la piété « modeuse » de l'avalanche de Passions qui tombèrent sur le crâne des malheureux Parisiens en quête de rédemption durant la semaine sainte.

Le premier concert (samedi après-midi) commence dans l'humeur « géniale » et dilettante d'un groupe de musiciens réunis sans trop de répétitions dans un programme concertant avec « tubes » et découvertes. Les English Baroque Soloists ne forcent pas trop leur talent pour imposer une langue musicale de tout premier ordre, d'une assurance et d'une fermeté d'accent qui contraste avec l'effet visuel d'un effectif majoritairement féminin – pied de nez adressé aux a priori de la caste masculine des Wiener Philharmoniker.

Le Concerto pour violon en la mineur BWV 1041 est le plus explicitement italianisant de la série des œuvres concertantes. Il trouve en Kati Debretzeni une interprète de haut vol, capable d'alterner séquences tuttistes et solistes sans rompre l'unité d'ensemble imposée par Gardiner. La texture volontairement allégée des traits virtuoses ne fait jamais passer pour spectaculaire ou extravertie l'intelligence du jeu. Le cœur émotionnel du concerto palpite dans un Andante aérien, sans autre appui rythmique que la respiration naturelle de l'instrument soliste. La récurrence des figures de basse fait progresser la ligne sans l'ombre d'une contrainte. Dans le finale Allegro assai, le rythme lancinant de gigue dégage l'espace nécessaire pour les figures chorégraphiques de la violoniste au-dessus du contrepoint. Les appuis et les relances du talon de l'archet irriguent la musique d'une saine énergie, sans rien de narcissique – Brandebourgeois avant l'heure, donc.

La méconnue Sonate pour deux violons et basse continue en ut majeur BWV 1037 n'a de Bach que l'attribution (très approximative), puisqu'il s'agit en réalité d'une œuvre de Johann Gottlieb Goldberg, fameux claveciniste dont la renommée tient tant aux célèbres variations qu'aux insomnies du comte Keyserlingk. Elle débute par un jeu de questions-réponses des deux violons sur une écriture de basse assez impassible. Le style fugué alla breve développe un motif descendant en valeurs longues escorté de son contre-sujet. Le Largo semble trop bref pour qu'on s'y intéresse vraiment, surtout après le mouvement du concerto précédemment entendu. La Gigue (notée Presto) du finale réconcilie tout le monde en un mouvement aux conventions rythmiques fort peu originales.

Le concert se conclue par l'une des plus célèbres partitions du cantor, le Double concerto en ré mineur BWV 1043. Ce joyau de l'époque de Köthen fut à de multiples reprises transcrit pour deux ou trois clavecins. Le Vivace initial est vigoureux tout en négociant avec brio le profil en dents de scie du célèbre « thème de l'âne ». Le violon de Maya Homburger rejoint celui de Kati Debretzeni auquel il ajoute une couleur ambrée plus prononcée, ce qui caractérise les deux parties d'une écriture en imitation. Le Largo ma non tanto ne surjoue pas l'afflux de miel. À la construction en arche John Elliot Gardiner donne aujourd'hui le sens et la direction qui manquaient à certaines de ses anciennes interprétations. Les basses respirent avec une deuxième note légèrement accentuée qui porte le tressage des deux voix solistes dans une acmé libre et spontanée, sans autre cible que la jouissance sonore. Le finale Allegro se perd dans des entrelacs un peu désordonnés dans le passage de témoin d'un violon à l'autre. La répétition et la motorique du concerto grosso ne sont jamais loin, malgré une réalisation qui cherche les variations d'esprit et de jeu.

DV