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Chroniques
King Arthur | Le roi Arthur
opéra d’Henry Purcell
Le ton est donné dès l'arrivée du chef dans la fosse. Au lieu de saluer et d’immédiatement se tourner vers ses musiciens, Hervé Niquet reste face au public, attend qu'il finisse d'applaudir, puis prend la parole. Les premiers mots pourraient être ceux d'un chef sérieux, consciencieux, soucieux d'éduquer son public. Mais dès que les explications se compliquent un peu, il pause un instant, considère la salle, dit « bon, je vais tout vous expliquer » et, tel un diable sortant d’une boite, jaillit sur la scène… en kilt !
De ce moment, ce qui devait être le semi-opéra King Arthur de Dryden et Purcell ne sera que joyeuse série de gags, plus loufoques les uns que les autres. L'ouvrage original, en effet, dure plus de cinq heures, dont une heure et demie à peine de musique. Si l'intégralité de la pièce est intéressante, il faut bien avouer que ses vraies qualités sont dans la musique de Purcell et qu'on se passe aisément des longues batailles entre Saxons et Bretons et des mésaventures et atermoiements d'Arthur et de son amante.
Toutefois, si l'on veut s'affranchir du livret original, un problème demeure, et de taille : les différents numéros de la partition n'ont souvent qu'un rapport lointain avec l'intrigue principale et presque aucun lien narratif les uns avec les autres. Si l'on souhaite préserver la dimension scénique et lyrique de l'œuvre (et ne pas donner de la musique une simple version de concert), il faut donc réinventer une dramaturgie autour des quelques bribes de texte mises en musique par Purcell.
Un défi conséquent, auquel on ne se frotte pas innocemment.
Un peu plus tôt cette année, à Lille, Emmanuelle Haïm et le metteur en scène Wouter Van Looy se sont essayés à un exercice similaire avec The Fairy Queen [lire notre chronique du 7 février 2009] et ont produit une métaphore sentimentale et érotique certes musicale et poétique (notamment grâce aux ballets de Vivian Cruz), mais dans laquelle on se perdait facilement. Hervé Niquet préfère, quant à lui, faire appel à des talents venus du cabaret : Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino.
Habitués au burlesque, ces deux-là n'y vont pas par quatre chemins. Tout y passe, du plus absurde au plus gros, des airs chantés avec un cheveu sur la langue aux chorégraphies parodiques, en passant par une délicieuse démonstration d'autodérision satirique sur les experts du baroque. Quant aux références, elles sont pléthores, toutes plus « bidonnantes » (il n'y a pas d'autre mot) les unes que les autres – les plus drôles étant sans doute celles faites aux Monty Python et à leur inénarrable Sacré Graal. Hervé Niquet et ses musiciens s'y prêtent avec un plaisir extatique. Il faut voir Niquet chanter et danser J'ai l'béguin ou les musiciens tourner au ridicule une simple séance d'accord durant l'un des entractes. On se trouve souvent à se dire « non ! Ils ne vont tout de même pas oser faire ça ? », et pourtant, ils osent ! Shirley et Dino ne reculent devant rien et vont même jusqu'à servir un barbecue sur scène… le tout sans jamais verser dans le vulgaire ou le mauvais goût.
Toutefois, le véritable tour de force demeure que rien de ceci n'entame la rigueur de la démarche musicale duConcert Spirituel ou la qualité des performances des chanteurs, tous excellents : Chantal Santon-Jeffery et Ana Maria Labin (soprani),Mathias Vidal (haute-contre), Marc Mauillon (taille),João Fernandes (basse). On peut certes regretter les tempi excessivement rapides pris par Hervé Niquet (notamment dans le fameux air du froid) qui ne permettent pas de jouir de la musique dans toute sa saveur, mais les qualités de timbre et de dynamique de l'ensemble sont toujours aussi délectables.
Ne boudons pas notre plaisir et rions de bon cœur quand nos oreilles se réjouissent !
JS