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Chroniques
King Arthur | Le roi Arthur
semi-opera d’Henry Purcell
Il faudra peut-être instituer le mois d'avril comme celui des contrariétés. Après les tristes coïncidences de La voix humaine à Tourcoing et les grèves au Teatro de la Zarzuela [lire nos chroniques du 8 et 11 avril 2018], c'est au tour du Grand-Théâtre de Genève d'en faire l'expérience avec un problématique imprévu : après désistement du metteur en scène annoncépour King Arthur de Purcell, Marcial Di Fonzo Bo fut appelé à la rescousse à un mois de la première. Mesurant le résultat à cette aune, on ne pourra qu'en saluer l'efficacité, à défaut d'avoir eu le temps de renouveler le regard sur l'ouvrage.
Avec la complicité de la scénographie de Catherine Rankl, inspirée en partie par les gravures de Gustave Doré, l’Argentin [lire nos chroniques du 11 mars 2005 et du 7 novembre 2006], qui n'avait jusqu'alors pas encore été invité dans la cité de Calvin, investit autant le plateau que la salle, jouant ainsi de la mise en abyme annoncée par le Prologue. Les bigarrures des costumes dessinés par Pierre Canitrot, relayées par celles des perruques et maquillages conçus par Cécile Kretschmar, modernisent habilement l'antique, sans en éliminer toute la poussière, et contribuent sans doute à l'allure hétéroclite d'une distanciation très anglaise de la Table Ronde, dont l'ambivalence humoristique n'est pas toujours immédiatement perceptible par un public allophone – même avec des textes parlés traduits en français, à de rares exceptions près. S'il faut s'incliner devant le mérite de ne pas trahir l'intégrité du livret, cette prudence retient sans doute le délire baroque de secouer les barrières herméneutiques que ne lèveront guère les scolaires nuances déclamatoires d'un plateau d'acteurs composé dans l'urgence. Restent quelques fort belles images, à l'exemple du miroir, spéculaire pour l'intrigue comme pour les spectateurs, trouvaille certes plus ingénieuse qu'inédite, ou encore du Génie du froid dans une neigeuse pyramide de coton, ainsi que la dynamique avertie des lumières réglées par Yves Bernard.
Si l'on ne s'attardera pas sur les performances théâtrales, la partie musicale, admirablement servie, sauve l'équilibre rendu difficile par la présence assez invasive des mots. Avec ses pupitres de la Cappella Mediterranea, alchimie reconnaissable de fluidité charnue et d'âpretés caressantes qui restitue les subtiles saveurs de Purcell, au carrefour des influences italiennes et françaises éclairées avec une admirable intelligibilité, Leonardo García Alarcón eut l'idée de tisser un discret contrepoint intermittent de notes sur le texte parlé, empruntant à un composite corpus d'époque, selon une pratique en usage au moment de la création. S'il ne parvient pas toujours à raccourcir les longueurs, le procédé contribue à une précieuse cohérence dramaturgique et gomme parmi les hiatus ceux devenus inutiles par la sédimentation du temps.
Multipliant les incarnations fugitives, les solistes se révèlent de très bonne tenue.
Ed Lyon (Prologue, Guerrier, Berger et Sylvain) fait retentir une maîtrise stylistique bien projetée [lire nos chroniques de Semele, Hippolyte et Aricie et Orfeo]. Pour n'être peut-être pas d'une orthodoxie sans reproche, le prometteur Grigory Shkarupa (Prêtre, Génie du froid, Eole et Il) séduit par la puissance de sa basse, jeune encore, mais déjà solide, aux évidentes ressources expressives. Bernarda Bobro (Cupidon, Sirène, Vénus et Elle) distille une sensibilité appréciable qui s'allie avec la présence de son partenaire, précédemment cité, dans le duo d'amour du masque final [lire nos chroniques du 13 juin 2009, du 6 mai 2014 et du 28 novembre 2015]. Keri Fuge (Philidel, Sirène, Nymphe et Honneur) ne manque point de fraîcheur. On mentionnera la consistance d'Ivan Thirion (Grimbald, Homme et Comus) [lire notre chronique du 17 novembre 2015], ainsi que les interventions, contractées en voix de tête, d'Anders Jerker Dahlin (Prêtresse, Guillamar, Homme). Préparé par Alan Woodbridge, le Chœur du Grand Théâtre, qui assume les autres apparitions éparses, remplit son office sans faillir, avec la précision qu'on lui connaît.
GC