Recherche
Chroniques
Kirill Karabits dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Alban Berg, Ivan Karabits, Igor Stravinsky et Edgar Varèse
Nommé chef associé à l’Orchestre Philharmonique de Radio France en avril 2002, Kirill Karabits dirige régulièrement des concerts d’une indéniable qualité. À ses prestations l’on reconnaît une intelligibilité précieuse et une sensibilité souvent au rendez-vous, telle qu’on les constatait dans sa bouleversante lecture de la Quatorzième symphonie de Chostakovitch [lire notre chronique du 13 septembre 2003]. Ce soir, dans le cadre des Figures d’ouverture de Radio France, il conduit un programme consacré au concerto contemporain.
Toutes les œuvres présentées convoquent un effectif réduit, à commencer par le Concertino pour neuf instrumentistes donné en première française, écrit en 1983 par Ivan Karabits, le père du jeune chef. Le Concertino enchaîne trois mouvements sans interruption, s’achevant dans la présentation de chaque soliste, comme on la rencontre dans les concerts de jazz. D’une esthétique relativement mêlée, il fait entendre de fort belles phrases au violon et au basson.
Retour dans le temps : nous entendons ensuite Octandre qu’Edgar Varèse composait en 1923, dans une lecture d’une fiabilité exemplaire… à la lettre, trop exemplaire peut-être. Après le grand mystère du premier mouvement, les musiciens réalisent des échanges efficaces sans que la pièce surprenne le public. Est-ce à dire que Varèse serait devenu un classique à ne scandaliser plus personne ? N’en croyons rien, car indéniablement, lorsque Péter Eötvös ou Pierre Boulez jouent sa musique, elle parvient immanquablement à bousculer le public. La présentation d’aujourd’hui, pour irréprochable qu’elle soit, manque d’une pensée, d’un moteur, d’une certaine lucidité.
Cette précision d’une exquise politesse sert idéalement le Concerto Dumbarton Oaks d’un Stravinsky largement néo-classique. L’exécution bénéficie d’une élégance remarquable, grâce à des échanges impeccables et pleins d’esprit. Karabits se montre nettement plus à son aise dans cette esthétique. En revanche, le Kammerzonert d’Alban Berg ne satisfait pas. Florent Boffard pose dès l’abord un climat tendu, tout en ménageant à juste titre une sonorité héritière du piano romantique. Le violon de Raphaël Oleg fait une entrée violente où s’impose une âpreté de caractère qui ne se démentit plus. Parfaite mise en place, la lecture de Kirill Karabits présente bien des carences : ainsi les équilibres sont-ils peu soignés, le violon trop souvent couvert, l’extrême raffinement de la Klangfarbemelodie est littéralement absent de la réalisation qui semble plus une juxtaposition de détails et de fragments qu’une architecture cohérente. Par la suite, le décalage entre deux solistes copieusement expressionnistes et un tutti sagement clinique et dépassionné devient gênant. Gageons qu’avec un peu de temps, le chef ukrainien apprivoisera un univers qui lui est encore obscur.
BB