Recherche
Chroniques
Koma | Coma
opéra de Georg Friedrich Haas
Nous retrouvons ce soir le Staatstheater de Brunswick qui, depuis quelques années déjà, se distingue par l’audace de sa programmation où sont revisités d’opus lyriques récents, comme ceux de Péter Eötvös ou d’Aribert Reimann, dont nous applaudissions hier encore le fameux Lear non loin d’ici [lire notre chronique de la veille]. C’est dans ce théâtre qui construit un répertoire moderne que nous avons apprécié les ouvrages de Lucia Ronchetti, John Cage et Salvatore Sciarrino [lire nos chroniques de Rivale, Europeras 1&2 et La porta della legge]. Nous y découvrons aujourd’hui Koma de Georg Friedrich Haas (né en 1953), une œuvre créée en 2016 à Schwetzingen et conçue sur un livret du dramaturge tyrolien Klaus Händl. Trois ans après la première mondiale, le compositeur autrichien [lire nos chroniques de …Einklang freier Wesen…, Melancholia, Quatuor à cordes n°5, limited approximations et de son Concerto pour trombone] révisait la partition, livrant une nouvelle version où les protagonistes s’expriment par le chant, alors que la mouture originale panachait chanteurs – les membres de la famille de Michaela, la malade – et comédiens – le personnel soignant. C’est celle de 2016 que l’on joue cette fois.
Dans sa chambre d’hôpital, la patiente se trouve hors du monde. Autour, son mari Michael et leur fille aphasique Barbara, sa sœur Jasmin ainsi qu’Alexander, le beau-frère qui est aussi son amant, qui ne parviennent plus à l’atteindre ni à l’aider. C’est Barbara qui a trouvé sa mère après un bain dans une eau d’hiver, fatale : la noyade a donc été tentée. Au chevet de Michaela, ses proches se racontent les moments importants dans leur vie de famille. Les médecins tentent en vain un retour à la conscience. La musique d’Haas, délivrée par une formation instrumentale plutôt classique, mises à part l’accord particulier du piano et la présence d’un accordéon, sature l’écoute dans des juxtapositions spectrales qui l’inondent. Dessinée par des contrastes puissants, articulé par les percussions, le plus souvent, elle transporte l’auditeur dans la tête de la suicidée, sans que soit élucidées les raisons de son acte désespéré. Finalement, c’est, après une tentative de comprendre cet acte et quand il n’est plus possible de lutter contre l’évidence – la mort – que l’orchestre s’apaise. Un carillon délicat se superpose aux pizzicati, le personnage s’éloignant pour toujours.
Le mot d’ordre de l’événement est l’obscurité – celle de l’espoir familial irrémédiablement obstrué, celle de l’état de conscience de Michaela. Il ne faut pas avoir peur du noir pour se laisser enfermer dans un tel spectacle ! Tout le monde – chanteurs, comédiens, musiciens et même public – est rassemblé sur la scène, sans aucune lumière. Une faible lueur vient bientôt permettre à l’orchestre de jouer, mais c’est tout : Koma commence en aveugle. Ce n’est pas une idée de la metteure en scène Dagmar Schlingmann mais une volonté du compositeur et du librettiste. La lumière (Jörg Schmidt) viendra, mais toujours étroitement liée à la musique, elle-même en adéquation avec la dramaturgie. Les flashbacks, quant à eux, bénéficient d’un éclairage plus normal. Sabine Mader organise sa scénographie autour d’un cube a giorno qui accueille les émotions de la famille, les pensées et les souvenirs de la malade, en particulier ceux de son enfance.
La vocalité très personnelle choisie par Haas, peut-être héritée de l’opéra traditionnel chinois et des pièces chantées à plusieurs, en Europe, durant la Renaissance, alterne avec le texte parlé. Le soprano très souple d’Ekaterina Kudryavtseva se joue des ruptures et du legato contradictoire du rôle de Michaela. Celui de Jasmin est également écrit pour un soprano, et c’est Pia Davila qui lui prête un timbre bien projeté. La basse enveloppante de Rainer Mesecke incarne Michael dont la partie transmet une certaine émotion. Enfin, il faut saluer la grande prouesse de Daniel Gloger qui honore le rôle d’Alexander d’un baryton flatteur pour ensuite endosser celui de la mère de l’héroïne, en retournant la voix comme l’on retourne un gant, s’exprimant alors en contre-ténor. On remarque la prestation des actrices et acteurs Emi Aalto (Barbara), Yannik Heckmann, Niklas Marian Müller et Lea Mergell (les infirmiers János, Nikos et Zdravko), Claudia Renner (Docteur Schönbühl) et Nora Schulte (Docteur Auer).
À la tête du Staatsorchester Braunschweig, le chef et compositeur germano-grec Alexis Agrafiotis signe une lecture précise de Koma, malgré l’obscurité dans lesquelles sont jouée les premières mesures, et ne ménage pas ses efforts pour porter le drame.
HK