Chroniques

par david verdier

Kurt Masur dirige l’Orchestre national de France
programme Richard Strauss

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 24 novembre 2011

L'adéquation de certaines pièces peut sembler problématique dès lors qu'elles cohabitent étrangement sur un même programme. Ainsi en va-t-il de cette soirée Richard Strauss au Théâtre des Champs-Élysées, dans laquelle officie le vétéran Kurt Masur à la tête de « son » National de France. Les Metamorphosen de Strauss tiennent moins de la référence à Ovide que de la notion philosophique de Goethe. La partition fait se lover les entrelacs du contrepoint dans la tragédie du temps qui passe, de l'effacement des choses et des êtres. La destruction de l'Opéra de Munich et les ravages de la guerre ont inspiré cette musique du renoncement et de la déploration. L'abandon de la tonalité est là, tout proche, mais il ne reviendra pas à Richard Strauss de franchir le pas, définitivement. Cette Étude pour vingt-trois cordes solistes regarde vers le passé sans nostalgie mortifère, ce qui n'est pas un mince compliment quand on connaît la propension de certains chefs à l'engluer dans un passéisme hors propos. La présence physique se dérobant, Kurt Masur peut compter sur ses musiciens pour marquer les attaques dans les passages difficiles. Le naufrage tant redouté se change en heureuse réussite qui comble de joie le vieux chef et le public réunis.

Aussi belles qu'elles soient, ces Métamorphoses présentent le redoutable inconvénient de ne pas durer suffisamment pour occuper une partie entière et d’arborer une longueur telle qu'on peut difficilement leur associer une œuvre de format équivalent. Pur péché d'orgueil ou erreur de programmation, nous avons droit à la dernière scène du Rosenkavalier… Stylistiquement et musicalement éloigné de la première pièce, cette conclusion fameuse ne parvient pas à convaincre. Comment parvenir à se plonger dans l'émotion du trio final après la noirceur du propos précédent et dans l'absence de contexte scénique ? La Maréchale de Cornelia Ptassek doit d'emblée affronter les redoutables intervalles de son air d'adieu. Mal préparée et sans possibilité d'ancrer ses phrases dans le dialogue préalable, elle dessine une ligne vocale assez étroite et sans couleurs. Le duo Andrea Hill (Oktavian) et Valentina Farcas (Sophie) est d'une meilleure eau, parvenant subrepticement à instaurer un climat véritablement straussien dans le satiné des timbres et l'abandon d'un phrasé plein de gourmandise.

Mal à sa place en seconde partie, Till Eulenspiegel dérange presque après l'ambiance crépusculaire du trio. Les lignes de fuite sont très contrôlées, sans rien de moqueur ou de vraiment libre dans l'expression de la virtuosité. Pour autant, l'interprétation ne souffre pas de défaut majeur et se joue des difficultés, particulièrement dans les alliages de timbres aux cuivres et aux bois. Masur ne rechigne pas à bisser la fin – idéal pour garantir le succès public et la possibilité d'un montage discographique ultérieur…

DV