Chroniques

par laurent bergnach

L'île solaire
narration musicale de Samuel Sighicelli

Maison des métallos, Paris
- 20 février 2010
L'île solaire, narration musicale de Samuel Sighicelli
© ina | rené pichet

Paru en 1719, La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York […] a fourni à des générations de lecteurs un modèle éducatif, intellectuel et moral, par l'intermédiaire d'un héros à l'esprit entreprenant, volontaire et méthodique, pouvant dominer un milieu des plus hostiles, courageusement, pendant près de trois décennies. Mais les siècles passent et les valeurs changent, surtout quand deux guerres mondiales ébranlent toutes les certitudes idéologiques du Vieux Monde. Reprenant le cadre d'une autarcie exotique, Sa Majesté des mouches (1954) et Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967), notamment, avancent des doutes légitimes sur la nature raisonnable de l'homme au pouvoir, et montrent la fragilité de cette civilisation du rendement et de la colonisation qu'incarne le personnage imaginé par Defoe.

« À la différence, remarque Samuel Sighicelli, le roman de Michel Tournier invente un Robinson postmoderne, amené progressivement à entrer dans la danse des Éléments, après avoir échoué dans son entreprise de domestication de l'île. L'île n'est plus un espace à faire fructifier pour vivre mais la condition d'une nouvelle perception du temps et de l'activité. Cette vision à la fois inactuelle et profondément actuelle nous interpelle… »

Dans cette narration musicale d'un peu plus d'une heure (créée à Dijon le 21 mai dernier, reprise à Lyon dans quelques jours), le piano de Wilhem Latchoumia rend compte des émotions de l'homme seul au monde – réveil engourdi sur la grève, peur panique de perdre l'esprit autant que la parole, marche accablée sous le soleil, réconfort d'un refuge matriciel et sépulcral, frénésie d'un coït régressif, tendresse angoissée à l'arrivée de Vendredi, etc. Quand à elle, l'électroacoustique dépeint son environnement – vagues métalliques et tranchantes, bruits d'oiseaux et d'insectes, etc. –, offrant des passages hypnotiques pour mieux nous perdre, comme lors de l'interminable explosion des tonneaux de poudre qui détruit calendrier et clepsydre.

Si les deux voix-off étaient peut-être dispensables (celles du narrateur et de l'île elle-même), la portée poétique du spectacle serait moindre sans sa dimension visuelle qui, d'emblée, nous captive avec les scènes de naufrage projetées sur un tulle à l'avant-scène. Les images sont souvent traitées de manière à paraître « comme des visions fugitives, des hallucinations, des paysages abstraits ». Datant pour certaines des années cinquante, elles illustrent le quotidien de Robinson au travail, ses envies (voir la mer dévaster l'île) ou ses souvenirs, comme lorsqu'une Sarabande de la Quatrième Suite pour clavier de Händel s'échappe d'une fenêtre. Originale et de qualité, cette transposition scénique méritait plus d'applaudissements.

LB