Chroniques

par gilles charlassier

Léo Warynski dirige Les Métaboles
Vytautas Miškinis, Arvo Pärt, Alfred Schnittke,

Gueorgui Sviridov, Piotr Tchaïkovski et Dimitri Tchesnokov
Rencontres musicales de Vézelay / Basilique Sainte Marie-Madeleine
- 24 août 2019
Musiques baltes et russes par Les Létaboles à Vézelay
© dr

Après Les Surprises dans l’après-midi à Vault-de-Lugny [voir notre chronique du jour], c’est dans le creuset de la Basilique Sainte Marie-Madeleine que Les Métaboles, autre ensemble novice à Vézelay où il incarne la nouvelle génération, présente le programme de son premier enregistrement, Mysterious Nativity, paru en 2014 chez Brillant Classic – une manière pour François Delagoutte de déplacer l’accent commémoratif sur les musiciens eux-mêmes plutôt que sur une institution festivalière qu’il tourne vers l’avenir. À rebours de certaines tentations d’un répertoire à la religiosité hypnotique, le chef n’interdit pas les applaudissements entre les pièces, rompant sans doute l’aura d’un voyage d’à peine une heure quinze dans les confins slaves et baltes des églises catholiques et orthodoxes d’un XXe siècle en marge des explorations d’avant-garde.

Augurant un florilège au parfum d’éternité, l’Hymne des chérubins (Херувимская песнь), sixième séquence de la Liturgie de saint Jean Chrysostome Op.41 de Tchaïkovski (Литургія Святаго Іоанна Златоустаго, 1879). La suavité de la page, où la sentimentalité du compositeur russe s’affirme en une belle décantation, met tout de suite en évidence la qualité et l’homogénéité de la formation chorale, tuilant avec une douceur inspirée les articulations du poème. Né en 1954 à Vilnius, Vytautas Miškinis livre dans O salutaris hostia (1991), écrit au moment de l’effondrement de l’URSS, un condensé de dépouillement, magnifié par la précision des entrées qui n’accuse jamais les attaques. Cette caresse de textures d’une saisissante luminosité ne néglige cependant pas l’expressivité du verbe, jouant dans « Bella premunt hostilia » (« Les armées ennemies nous poursuivent ») d’effets imitatifs qui rappellent La Guerre de Janequin, avant de revenir à l’intimité initiale. Sans intention moderniste, le morceau se distingue par une intemporalité sincère que les pupitres restituent avec une conviction communicative, au point de le resservir en bis.

D’Arvo Pärt, référence du refuge en réaction aux tumultes d’un aujourd’hui auquel certains refusent la « beauté », Magnificat de 1989 et Nunc dimittis, de douze ans postérieur, affirment un halo d’apaisement ciselé avec soin, jusqu’aux délicats confins du murmure, avant Странное Рождество видевше (Mystère de la Nativité), page de rituel orthodoxe (en russe, donc) composée en 1991 par Gueorgui Sviridov (1915-1998). On retrouve l’atmosphère de ferveur recueillie, dans un élan maîtrisé, avec un grain d’une pureté admirable qui suit les linéaments d’une jubilation intérieure, jusqu’aux éclats d’Alléluias irisés, en conclusion de chacune des deux strophes et climax suspendu à la fin de la dernière.

Du jeune Franco-ukrainien Dimitri Tchesnokov (né en 1982), Trois chants sacrés Op. 43 de 2009 ne démentit pas un monochrome liturgique détaillé sans faiblesse ni redondance au fil de trois numéros (De profundis, Miserere et Pater noster) aux dynamiques formelles complémentaires. Éclaircissant les rangs, Ave Verum Corpus Op.67 pour voix de femmes (créé deux ans plus tard) prolonge cet éther avec une remarquable économie de moyens. Datés de 1983, les Trois hymnes sacrés d’Alfred Schnittke – Je vous salue Marie, Jésus notre Seigneur et Notre Père – reviennent à la langue russe et à l’Église d’Orient, sans trahir le climat installé, quand le bref Свeтй Бoжз (Éternel Dieu) de Sviridov constitue un viatique à l’image des évanescences défendues par Léo Warynski et Les Métaboles, mettant opportunément en valeur les vertus évidentes de l’ensemble.

GC