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Chroniques
L'Étoile
opéra d'Emmanuel Chabrier
La première œuvre mise à l'affiche pour inaugurer une prise de fonctions ne peut qu'être programmatique. Quel sens donner au choix de L'Étoile d'Emmanuel Chabrier par Jérôme Deschamps qui succède à Jérôme Savary à la tête de la Salle Favart ? Le tout nouveau directeur l'a beaucoup dit dans la presse : il veut « rendre au lieu son répertoire d'origine ». Remettre à l'honneur un répertoire méconnu est ambitieux, presque risqué : c'est défier le temps, parier qu'il a tort, lui dont le couperet fit tomber des œuvres dans les oubliettes de l'histoire.
En l'occurrence, même si on est loin d'être aussi dithyrambique que Reynaldo Hahn qui le considérait « une perle fine de l'opérette française », ou de Duparc qui y voyait « quelque chose comme des Maîtres chanteurs français » (!...), force est de reconnaître à l’ouvrage de Chabrier, créée aux Bouffes-Parisiens en 1877, cette vertu de faire passer au spectateur un agréable moment.
Improbable et loufoque, l'histoire prête à sourire. Dans la capitale des Trente-Six Royaumes, le roi Ouf Ier a l'habitude de célébrer sa fête par une exécution capitale. Las, cette année-là, point de condamné ! Pour le plus grand bonheur de ses sujets, le souverain met enfin la main sur le candidat à la mort idéal : le colporteur Lazuli. Mais l'astrologue Siroco le met en garde : le sort du roi est intimement lié à celui du supplicié. Si meurt Lazuli – par ailleurs amoureux de la promise du roi, la princesse Laoula –, Ouf perd lui aussi la vie dans l’heure qui suit.
De ce livret absurde parodiant parfois Wagner ou Donizetti, Chabrier sut écrire une musique à l'orchestration assez fine. Elle est d'ailleurs bien rendue par l’élégante baguette de John Eliot Gardiner qui renoue avec L'Étoile vingt ans après l'avoir donnée (puis enregistrée) à l'Opéra national de Lyon. Dès l'Ouverture, le chef britannique insuffle à la partition une énergie et un rythme mâtinés de distinction, même si les instruments anciens de son excellent Orchestre Révolutionnaire et Romantique sonnent un peu plat. Dans le mouvement lent se crée une vraie atmosphère, teintée de douceur et de délicatesse, malgré le côté sirupeux de la mélodie, et c'est tambour battant que prend fin l'Ouverture pour entrer de plain-pied dans le premier acte.
La mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps se veut loufoque et poétique. En grands professionnels du théâtre, le couple occupe constamment l'espace où créer une grande théâtralité. Trop, peut-être, parfois : ainsi de la scène du duel, du baiser entre Laoula et Lazuli ou du mime, qui ralentissent l'action. Ces intermèdes fonctionnent moins à l'opéra où ils entravent la musique alerte de Chabrier. Cependant, les lumières de Dominique Bruguière ainsi que les décors et costumes de Macha Makeïeff font oublier ces défauts : toiles peintes très colorées, costumes chatoyants, accessoires facétieux flattent les yeux et entrent en résonance avec le propos musical.
Celui-ci est extrêmement bien défendu par la diction impeccable du Monteverdi Choir dont les membres semblent beaucoup s'amuser, notamment dans la scène du pal. Jean-Luc Viala (Ouf) se fait remarquer par sa voix bien timbrée et juste, ainsi que par sa très bonne articulation. Jean-Philippe Lafont compose un excellent Siroco et fait regretter une partie assez brève. Les seconds rôles sont de fort bonne tenue : Christophe Gay (Hérisson), crédible en « gommeux », s'en tire bien, même si l'instrument est encore un peu jeune, et Blandine Staskiewicz (Aloès) se distingue par une voix pleine et corsée. Anne-Catherine Gillet incarne une princesse Laoula aux aigus purs et agiles. Seule déçoit Stéphanie d'Oustrac dans le rôle de Lazuli : le premier air, notamment (est-ce le trac ?...), laisse percer une voix inégale aux aigus difficiles et poussés, et des problèmes d'intonation étonnent plus d'une fois chez cette habituée de la mélodie française – une étoile variable ?
IS