Chroniques

par marc develey

l’évidence straussienne de Christoph von Dohnányi
Norddeutsche Rundfunk Sinfonieorchester Hamburg

Salle Pleyel, Paris
- 2 novembre 2008
© andreas garrels | ndr

Aussi lustig (joyeux) que son héros, le Till Eulenspiegel lustige Streiche Op.28 de Richard Strauss est riche en rebondissements thématiques et expressifs, et c’est avec jovialité que la partition rend les équipées pleines de vitalité et de rouerie du héros germanique. Après une ouverture pleine de souplesse aux cordes, le thème de Till est posé en vagues élégantes. Très vite captive la succession contrastée des différents tableaux où le NDR Sinfonieorchester Hamburg nous entraîne. Interventions ironiques des vents : Till harangue et se gausse ; roulement dramatique des percutions : la foule s’irrite, le juge, le condamne ; final apaisé, arrêt précis et sans concession : suspendue, la parole du conteur laisse place aux résonances et de la musique et de l’histoire.

Silences brutaux, reprises liquides, grande homogénéité des cordes et glissements mélismatiques des vents donnent au récit une grande qualité d’expression. Les grâces chambristes de l’orchestre le disputent au copieux des tutti, impressionnants de réserve sonore, tandis que la maîtrise de l’articulation et de la dynamique lui autorise l’expression la plus subtile. Rien de démonstratif dans l’accentuation de cette danse aux legati et portamenti voluptueux ou telle résolution d’un fortissimo dans l’évanouissement du hautbois. Sous la baguette de Christoph von Dohnányi, tout va dans l’évidence.

Certains moments, dans leur radicale intensité, s’allègent de tout bavardage. Ils se donnent, comme de surcroît, avant tout jugement esthétique, et l’écriture peine à dire ce qui s’y joue vraiment : point de mutisme où laissent les Metamorphosen Op.142 également données ce soir. Le chant sobre et précis de l’ouverture, confiée aux violoncelles et contrebasses, magnifie les qualités reconnues à l’orchestre dans le morceau précédent. La bouleversante entrée des altos sur l’unisson des violoncelles ne permet déjà plus de parler de musicalité, terme trop imprécis, trop entendu, trop extérieur encore– immense présence d’un son venu de très loin dans une épaisseur sans cesse renouvelée, vaste nappe cherchant organiquement au cœur du silence la matière de sa musique, chaque plan pourtant pensé dans sa dynamique singulière – velouté, violent, tendre et désespéré – et sa plénitude propre, d’une envoûtante intensité, jamais démentie jusqu’à l’épuisement pianississimo, offrande somptueuse et inattendue d’une musique de chambre à vingt-trois, impeccable dans son exécution, enthousiasmante dans le sens ancien qui en faisait un rapt. Océanique.

Qu’il faille en chercher raison dans l’écriture de Robert Schumann ou la charge d’intensité émotionnelle de la première partie de concert, laSymphonie en ut majeur Op.61 n°2 laisse une impression moins exaltée. L’exécution en est sans tâche, mais notre attention s’y perd, malgré la constante finesse des nuances et une présence souvent saisissante des instrumentistes. Nous en garderons le souvenir d’une musique en archipels – miracles des îles sur fond de navigation ni totalement plaisante ni complètement ennuyeuse : grand sentiment d’ensemble, belle réserve de son, contretemps expressifs des bois dans l’Allegro ma non troppo, merveilleux fugati du Scherzi, élégie veloutée au début de l’Adagio expressivo, basson et hautbois évoquant le baroque allemand, fouillis foisonnant et romantique de l’Allegro molto vivace final.

En vérité, il est difficile de dépasser le sentiment que nous laissent certains points d’orgue.

MD