Chroniques

par bertrand bolognesi

l’Académie Bach croise les nations

Académie Bach / Arques-La-Bataille
- 27, 28 et 29 août 2010
robin h.davies photographie les machinistes de l'Académie Bach
© robin h.davies

Depuis treize ans déjà, l’Académie Bach revêt Arques-La-Bataille – plus particulièrement sa fort belle église à double nef et plus largement quelques autres communes de cette discrète partie du Pays de Caux – de polychromies anciennes, Renaissance et baroques. Tout en proposant, à la fin du mois d’août, un festival offrant non moins de trois concerts par jour, mais aussi quelques rendez-vous de saison, dans la région (Dieppe, Eu, etc.), elle investit plus activement encore le paysage baroque français en accueillant en résidence de jeunes ensembles. Ainsi des Musiciens de Saint-Julien dont on put entendre, vendredi en nocturne, le programme For ever, Fortune, consacré à des grounds et songs écossais des XVIIe et XVIIIe siècles.

« Par une résidence de trois ans, nous confie Jean-Paul Combet, le directeur artistique de l’Académie Bach, nous permettons à de jeunes musiciens d’explorer en toute quiétude ce qui sera leur pain quotidien de plus tard. En général, les artistes montent des programmes, en un temps record, d’ailleurs, dans le but de les tourner en concerts et, bien souvent, de les graver au disque. C’est précisément ce schéma – autrement dit l’impératif de résultat – que nous évitons ici. L’ensemble en résidence a loisir d’explorer, chercher, expérimenter, et ainsi peu à peu se trouver et se construire. Aussi favorisons-nous des ensembles défendant une proposition originale. Toujours nous avons soutenu l’imagination, en témoigne notre résidence du Poème Harmonique, il y a de nombreuses années déjà. Si l’exercice mène au concert, pourquoi pas – et avec plaisir, bien sûr ! »

On comprendra d’autant mieux le propos lorsqu’on aura dit qu’outre ce menu écossais, les Musiciens de Saint-Julien animent trois autres concerts de cette édition du festival…

De même le public tisse-t-il un lien chaque jour plus étroit avec l’organiste Yves Rechsteiner qui propose trois moments, en fin de matinées, autour de la danse, accompagné d’un chœur pour le programme Danse profane, danse sacrée visitant vendredi la musique allemande, et du percussionniste Henry-Charles Caget dans les Inspirations espagnoles de samedi et le programme intitulé Les Sauvages qui voyageait adroitement à travers des transcriptions de célèbres pages de Rameau, ce dimanche à Dieppe, la pluvieuse et venteuse – jamais Boréades ne semblèrent tant d’à-propos climatique !

Et à manier l’exotisme en musique, d’Ecosse en Indes chimériques c’est aussi d’Espagne, d’Allemagne et d’une Inde effective que se sont faites les Nations d’Arques, à travers un concert donné par Doulce Mémoire et les Ragas, du soir ou du matin, sonnant tampoura, pakhawaj et sourdahar. Ce qui n’empêche pas de croiser un classicisme plus traditionnel, celui des sonates pour piano de Haydn et Beethoven, ici naturellement décorsettées des habitudes – voire mauvaises habitudes – d’écoute, Rémy Cardinale les servant, comme il se doit, sur un pianoforte (copie d’un Walter de 1795) qui permet des couleurs inattendues, une autre souplesse de l’articulation mariées à une infinie clarté de l’émission elle-même, autant de qualités qui révolutionnent à l’écrevisse, pourrait-on dire, lesdites habitudes.

À quiconque aurait, au XVIe siècle, parlé de musique populaire, l’interlocuteur sans doute aurait ouvert de grandes mirettes d’impuissante incompréhension. C’est bien ce que rappelle au public d’aujourd’hui, dont l’appréciation fut récemment enclavée dans une artificielle carte des genres, de nombreux moments de ce festival, et principalement la soirée de vendredi. Accordone invite au voyage avec son ingénieux et sensible programme Fra’ Diavolo dont les voix napolitaines, de leur nasalisation si spécifique, ne sauraient laisser indifférent. Tarentelle obligée, frontière impossible entre lamento, air, madrigal et théâtre, voilà bien de quoi susciter l’émotion, toutes les émotions, s’entend, sans hiérarchie. La vie de ce concert est tout simplement magnifique d’énergie, d’expressivité inventive, ou encore d’introspection quand il le faut, voire de recueillement, parfois, en une sorte de suprême respect de l’affect. De fait, ce qui désigne comme créature privilégiée de son dieu l’être humain, n’est-ce pas précisément l’affect ? À méditer dans le chant de Pino De Vittorio, qui toujours amorce un zygote danseur, et dans celui du plus terrestre Marco Beasley.

BB