Chroniques

par irma foletti

L’aio nell’imbarazzo | L’embarras du précepteur
melodramma giocoso de Gaetano Donizetti

Festival Donizetti Opera / Teatro Donizetti, Bergame
- 2 décembre 2022
Au Festival Donizetti Opera 2022, "L’aio nell’imbarazzo"
© gianfranco rota

Troisième guerre mondiale ou accident nucléaire ? On peut se poser quelques questions en voyant devant le Teatro Donizetti divers attroupements de personnes en combinaison orange, immobiles et les yeux rivés sur leur téléphone portable. Mais les jeunes gens se mettent bientôt en mouvement sur fond de musique électro, ce gentil happening se voulant une mise en bouche de la production, annoncée futuriste, de Francesco Micheli [lire nos chroniques d’Il killer di parole, Adriana Lecouvreur, Lucia di Lammermoor, L’ange de Nisida et Medea in Corinto].

Pendant l’Ouverture de L’aio nell’imbarazzo (Rome, 1824), les projections vidéos (Video concept de Studio Temp) montrent, en 2022, le couple Antiquati et leurs deux jeunes fils Enrico et Pippetto, famille modèle bientôt en crise. La presse fait savoir que la maman quitte le foyer mais que le papa, Giulio, obtient la garde des deux enfants, faisant ainsi le lien avec le livret de Jacopo Ferretti dans lequel le veuf Giulio tient enfermés à la maison ses deux bambins de vingt-cinq ans, avec interdiction absolue de fréquenter des femmes. Enrico a toutefois épousé en secret la belle Gilda – ce qui rappelle l’intrigue du Matrimonio segreto –, tandis que Pippetto est amoureux de Leonarda, la vieille gouvernante. Le maître de maison a confié leur éducation aux bons soins d’un précepteur (aio en italien), Gregorio. Celui-ci a gagné en notoriété avec son réseau social faceGRam (GR pour son diminutif Greg) : le rideau se lève en 2042, dans une espèce d’openspace froid et techno, où chacun est isolé dans un box ouvert sur un petit praticable à roulettes, assis sur un fauteuil de bureau.

Avec leurs lunettes en forme de casque de réalité virtuelle, tablette ou téléphone portable en mains, chacun et chacune vit au travers d’internet, parfois par procuration avec un avatar qui reproduit les mêmes gestes. Les animations vidéos projetées en partie haute du cadre de scène relèvent d’un graphisme actuel et tentent d’illustrer le déroulement de l’action. Malheureusement, ce procédé arrive rapidement à saturation et atténue l’intérêt de la réalisation, avec un trop-plein de vidéo qui paraphrase le plus souvent ce que les personnages tentent de faire comprendre, dans une communication pour le moins bridée. Les lumières de Peter van Praet sont belles et colorées mais ont bien du mal à réchauffer ce concept de tenue à distance qui ne convient sans doute pas idéalement au charme et au comique du melodramma giocoso de Donizetti. On est heureux, enfin, lorsque certains protagonistes quittent leur fauteuil pour se rapprocher et chanter une partie de duo ou trio à peu près côte à côte. À cet égard, les choses s’arrangent au second acte, les praticables à roulettes étant mis de côté et la vidéo se faisant moins présente.

Avant la représentation, Alessandro Corbelli, distribué en Giulio Antiquati, est annoncé malade. Le vénérable baryton italien, qui défendait déjà le rôle il y a près de quarante ans (Turin, 1984) est en effet significativement diminué vocalement, ce soir, marquant presque dans un souffle particulièrement court, le contrôle de l’instrument lui échappant sur quelques aigus douloureux. Dommage, car les intentions sont là et l’on sait l’interprète truculent. Le contraste est évidemment saisissant avec le baryton-basse Alex Esposito dans le rôle de Gregorio Cordebono, qu’il défend d’une voix sonore et richement timbrée, projetée fermement dans un jeu agrémenté de traits d’humour [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Don Giovanni, Mosè in Egitto, Semiramide, L’elisir d’amore et Anna Bolena].

Les autres chanteurs proviennent de la Bottega Donizetti, équivalent d’une académie pour jeunes chanteurs, dirigée par Alex Esposito, qui tient cette année sa deuxième édition. Le ténor Francesco Lucii (Enrico) fait entendre un timbre émis dans le masque, un style assez élégant et un volume limité quoiqu’en adéquation à ce répertoire belcantiste. Il envoie quelques aigus percutants au cours de son air d’entrée, Nel primo fior degl’anni, mais paraît dès après relâcher légèrement l’attention quant au respect du rythme. Les aigus plutôt pointus du soprano Marilena Ruta (Gilda Tallemanni) ne séduisent pas immédiatement, mais on apprécie peu à peu sa souplesse et sa capacité à passer les vocalises piquées et aériennes des airs difficiles. Les récitatifs sont chantés avec caractère et l’artiste confirme son abattage pendant la cabalette finale, ayant pris visiblement des responsabilités lorsqu’elle énonce son discours derrière un pupitre (« siamo nate per comandar » : « nous sommes nées pour commander »).

Beaucoup moins sollicités, Lorenzo Martelli (Pippetto, l’autre ténor), Caterina Dellaere (Leonarda) et Lorenzo Liberali (Simone) complètent agréablement le plateau vocal, ainsi qu’un vrai bébé dans le rôle du petit Bernardino, fruit des amours secrètes de Gilda et Enrico. Le chef Vincenzo Milletarì anime avec enthousiasme et franchise les musiciens de l’Orchestra Donizetti Opera dont le son est généreusement restitué par l’acoustique flatteuse du théâtre, par instants à la limite de couvrir les voix de certains protagonistes, selon leur placement (par exemple, pendant le duo Gilda/Gregorio quand ils se tiennent à l’avant-scène). Préparé par Claudio Fenoglio, le Coro Donizetti Opera apporte sa contribution, suffisamment volumineuse et coordonnée.

IF