Chroniques

par nicolas munck

l’analyse du Sacre du printemps par Olivier Messiaen
conférence de Michèle Tosi

Festival Messiaen au Pays de La Meije / Salle des fêtes, La Grave
- 1er août 2013
Igor Stravinsky photographié en 1948 à New York par Irving Penn
© irving penn, 1948

Notre deuxième journée « anaclasienne » au Festival Messiaen au Pays de La Meije [lire notre chronique de la veille] est amorcée par une conférence consacrée à l’analyse du Sacre du printemps proposée par Michèle Tosi (critique musical, docteur en musicologie et professeur d’analyse et d’histoire de la musique) avec la complicité du pianiste Florent Boffard permettant de bénéficier, avec bonheur, de nombreux exemples musicaux en live – l’œuvre dans sa version piano à quatre mains sera donnée le lendemain.

Publiée à titre posthume dans le second volume du Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie par les éditions Leduc (Paris, 1994-2002, sept volumes), l’analyse d’Olivier Messiaen et ses « imperfections » (notamment dans l’approche du langage harmonique) fait entrevoir les outils et le laboratoire du compositeur plutôt que la posture du théoricien. Selon Pierre Boulez, qui en signe la préface, Messiaen aborde « ses propres préoccupations de compositeur » et souligne son inscription dans la lignée de Debussy et du jeune Stravinsky de la « période russe » (Messiaen parle du Stravinsky des trois ballets…lesquels ? Les noces sont-elles intégrées à cette liste ?). Fidèle à cette construction analytique, Michèle Tosi – dont notre média compte plusieurs articles [lire nos chroniques du 27 janvier 2004, du 3 novembre 2005, des 4 et 24 février 2006 ou encore du 8 mars 2006, entre autres] – aborde pour commencer la question des « thèmes rythmiques » et de ses développements. Les premières mesures des Augures printaniers sont significatives de cette acception.

Selon Messiaen, le début du second mouvement du premier tableau présente un thème purement rythmique dans lequel « les sons sont si peu importants qu’ils sont presque des bruits ». L’accord en cause (qu’il appelle volontiers accord de Golaud en référence à Pelléas et Mélisande de Debussy) est analysécomme structure bitonale. Pour l’oratrice du jour, cette analyse harmonique surprenante ne prend étrangement pas en compte l’idée d’un « accord impulsion » (terme utilisé par André Boucourechliev), d’un bloc sonore perçu pour ses qualités de timbre. Après une analyse des différents processus de développements rythmiques (par amplification et diminution), elle se penche sur les deux introductions du Sacre (premier et second tableau). Si Stravinsky [photo] perçoit celle de l’Adoration de la terre comme la roue d’un « paon musical » dans laquelle chaque instrument représente une éclosion de timbres, Messiaen y entend (nous n’en sommes guère surpris) une belle polyphonie d’oiseaux « inaviens » (terme employé par le compositeur dans sa classe) dans un gigantesque tutti enchevêtré. Une fois encore la parade du « mystère debussyste » est souvent invoquée pour aborder l’harmonie et l’on peut se demander si Messiaen arrive à saisir la syntaxe du langage de Stravinsky.

Dans un dernier temps intitulé La transe organisée, Michèle Tosi évoque la question des « personnages rythmiques » (correspondance entre la perception de ce paramètre chez Messiaen et la rythmique hindoue) sur des exemples tirés de La glorification de l’élue et de la Danse sacrale. Elle met également à disposition du public un document réalisé par Alain Louvier et présentant une analyse rythmique comparée de cette Danse sacrale à partir de la notation de la partition et des approches de Messiaen et de Boulez. Ce moment se referme sur quelques questions du public dont nous admirons la curiosité d’esprit et l’érudition (il faut dire que d’anciens étudiants de la classe du maître sont cachés dans l’assemblée). Qu’on se le dise : le public de La Meije n’est décidément pas comme les autres !

NM