Chroniques

par bertrand bolognesi

l’après-midi du Quatuor Kocian
Haydn, Smetana et Mozart

Festival de l’Orangerie de Sceaux
- 3 août 2003

Le Festival de l’Orangerie de Sceaux fait entendre le talentueux Quatuor Kocian dans un répertoire qu’il honorer merveilleusement. Voilà bientôt trente ans que les quatre garçons de l’Académie de musique de Prague (Pavel Hula, Miloš Černý, Zbyněk Padurek et Vaclav Bernasek) sillonnent le monde en sonnant les grandes partitions classiques, mais surtout la musique moins connue de la Bohême du grand siècle (Rejcha, Vranitzky, etc.) ou celle de l’école nationale tchèque (Novák, Janáček, Dvořák, etc.). Régulièrement ils interprètent les compositeurs français du début du XXe siècle, les grands quatuors soviétiques, tout en prêtant volontiers leur concours à la création.

Pour commencer, c’est avec le Quatuor en ut majeur Op.74 n°1 de Joseph Haydn que le Kocian emmène la salle vers Vienne 1792, happant l’écoute dès l’attaque de l’Allegro moderato, joué avec grande élégance et beaucoup d’esprit, en soulignant à peine les traits, juste de quoi mettre en relief sans trop contraster, fort délicatement. L’alto de Zbyněk Padurek s’avère présent sur le deuxième mouvement, sans déséquilibrer l’ensemble, appuyant juste ce qu’il faut la modulation pour installer un nouveau climat tout en respectant l’unité du passage. Le bref Allegro qui s’ensuit bénéficie d’échanges minutieux et gratifie de pianississimi raffinés dans le déroutant trio central. Enfin, l’on est surpris par la sonorité plus rugueuse choisie pour le dernier épisode, le violoncelle n’hésitant pas, par endroit, à rugir. La tonicité du Vivace s’en trouve décuplée, avec sa ritournelle extrêmement rythmique.

Originaire de Bohême, enfant prodige du violon et du piano, puis compositeur prolifique et représentatif d’une volonté d’établissement de la musique nationale, Bedřich Smetana compta beaucoup dans la vie musicale pragoise de la fin du XIXe siècle. Il y fonda sa propre école, grâce, entre autre, à l’aide de Liszt auquel il était lié, et fit jouer ses nombreux poèmes symphoniques et opéras, tous imprégnés des légendes, de l’histoire et de la culture de son pays. Pour grand orchestrateur qu’il fut, il ne se coupa jamais vraiment de la musique de chambre qu’il avait pratiquée en famille dans son jeune âge. Il écrivit de délicieuses miniatures pour piano, un lugubre Trio et deux quatuors à cordes, ces derniers alors qu’il était frappé de surdité et qu’une fragilité mentale venait à s’empirer au point de l’emmener mourir à l’asile.

Le Quatuor en mi mineur n°1 « De ma vie » fut donc composé en des circonstances pesantes, en 1876. Selon ses propres dires, le compositeur tentait d’y exprimer sa vision de la vie, des premiers enthousiasmes du jeune artiste en passant par l’amour, la mort de sa fille, l’arrivée de la maladie, de la faiblesse, de la douleur. Pour introspectif qu’il soit, ce quatuor possède une structure solide ; son écriture rend formel le mi suraigu et strident comme un cri des premier et quatrième mouvements. Le Quatuor Kocian donne cette page triste avec une expressivité exacerbée. La mobilité de tempo du premier mouvement, Allegro vivo appassionato, générée par la seconde exposition de l’alto, installe une retenue digne à cette émouvante interprétation. De même les musiciens étirent-ils le Largo sostenuto à tirer des larmes. Le Vivace conclusif est joué dans le contraste, le premier violon lançant ses phrases comme des récitatifs accompagnés, chacun semblant soudain parler. Ils se retrouvent finalement dans l’étrange « à-quoi-bon » faussement serein qui clôt l’œuvre, d’une glaçante pudeur, et posent les trois ultimes pizz’ sans la moindre emphase, comme une douleur taillée dans la roche. Il faudra d’ailleurs quelques instants au public de l’Orangerie pour commencer de rompre, par des applaudissements respectueux, un silence recueilli.

La seconde partie du concert est consacrée à l’une des plus belles pages de Mozart, achevée début 1785, le Quatuor en ut majeur K.465 « Les dissonances ». Si avec lui nous retrouvons la tonalité de l’œuvre de Haydn précédemment entendue, et la même période, c’est d’un tout autre ton que le Kocian l’approche. Ainsi l’Adagio se trouve-t-il posé comme une énigme, dans un équilibre d’une grande maîtrise. L’Andante reste sagement mesuré et le dernier mouvement accuse des contrastes à peine plus visibles.

BB